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adresse de Rome à Mme Récamier, il ne cesse de la presser de prendre des dispositions pour que sa pièce soit jouée en son absence, quelle qu’en doive être la fortune. Enfin Moïse fut représenté... au théâtre de Versailles. M. Biré, qui nous donne tous les détails de cette journée malencontreuse, n’essaie point de dissimuler la profondeur de la chute, mais il fait un bel effort pour en rejeter la principale responsabilité sur la mise en scène et les interprètes. Les décors étaient des décors de banlieue, les acteurs étaient des comédiens de troisième ordre. Si les loges firent bonne contenance, le parterre ne cacha pas son ennui. Tout le monde sortit triste, comme on sort d’une cérémonie funèbre. A la porte du théâtre, Mme Récamier, pressée et coudoyée par la foule qui ne la reconnaissait pas sous son voile baissé, avait peine à retenir ses larmes. Cette fois, c’en était bien fait de Moïse...

Au moins Chateaubriand a-t-il dit adieu à toute rêverie politique et se continue-t-il dans son rôle de conseiller et protecteur de princes ingrats et malheureux ? C’est ici que la lecture des Mémoires est la plus décevante, et ce serait un jeu trop facile que d’y relever les contradictions, les réserves et les retours d’opinion. Chateaubriand proteste de son inviolable attachement à la royauté légitime, et, au même instant, de sa profonde indifférence au bruit que font les trônes dans leur chute. Il se vante non seulement d’avoir rétabli les Bourbons sur le trône, mais de leur avoir constamment indiqué la droite voie, et d’avoir réconcilié les Français avec la gloire, il récrimine avec amertume contre ses adversaires de jadis et poursuit de ses anathèmes le gouvernement de Philippe ; et en même temps il déclare bien haut que jamais et depuis le temps où il servait dans l’armée de Condé, il n’a eu sur ces questions aucune espèce de conviction. Il veut qu’on tienne pour un point acquis son indifférence et son « athéisme » en politique. Et il ne s’aperçoit pas qu’au cas où il dirait vrai, il resterait à savoir ce qu’il allait faire dans cette galère, et que s’il n’attendait de son rôle politique le triomphe d’aucun principe, il faudrait donc conclure qu’il n’y cherchait que des satisfactions personnelles. Maintenant il prophétise l’avènement de la démocratie ; le défenseur du trône et de l’autel est en coquetterie avec Béranger qu’il remercie dans une lettre éloquente de l’avoir mis en chanson, et qu’il va, dans ses Mémoires jusqu’à féliciter d’être le chantre de Lisette. L’auteur du fameux article du Mercure accepte la perspective du retour d’un Bonaparte. Dira-t-on que Chateaubriand envisageait la possibilité de retrouver un rôle sous le régime républicain ou bonapartiste qui remplacerait la monarchie de Juillet ? Ce n’est guère vraisemblable.