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théâtrales qu’il se plut, dès lors, à donner comme un dénouement symbolique à chacune des grandes journées du drame qu’il se composait à lui-même et présentait en spectacle au monde. Au moment de partir, le 3 novembre, vers minuit, il exprima le désir de visiter le tombeau de Frédéric. Ce tombeau, — un sarcophage de métal nu, — se trouve dans un caveau étroit et sombre, pratiqué sous la chaire de l’Eglise de la garnison à Potsdam ; un autre tombeau, de marbre noir, celui du père, Frédéric-Guillaume Ier ; l’épée du grand roi. Rien de plus dépouillé, de plus austère que ce dortoir éternel du roi philosophe, sorte de purgatoire du néant. Les souverains s’y rendirent dans la nuit froide, à travers les cours désertes. Alexandre y entra, accompagné de Frédéric-Guillaume et de la reine Louise, s’inclina silencieusement, déposa un baiser sur le cercueil, resta un instant à contempler, sous les reflets des lumières fumeuses et tremblantes, ces tombes obscures qui cachaient des chairs desséchées et vides d’âme, une épée qu’aucune main ne tenait plus, enveloppes inertes, vains simulacres du génie évanoui, puis, « très simplement, » prit congé de ses hôtes et disparut dans la nuit.

Brunswick, le Mack de la Prusse, un de ces Allemands « amis des lumières » et idoles des « philosophes, » qui jugeaient usurpée la réputation militaire de Napoléon et se croyaient de taille à le ramener à la mesure, ne voulait point que l’on entamât l’affaire avant le 15 décembre. On ne se pressa donc point de mettre en route Haugwitz, qui devait porter l’ultimatum et poser la médiation. On lui dressa, ou plutôt il se dressa lui-même des instructions minutieusement combinées. « En partant le 13, et en employant douze jours pour le voyage, j’arriverai près de Napoléon le 25. Avec lui, il est peu permis de compter sur les délais, il n’en admettra guère pour la négociation ; je mets quatre jours. S’il refuse d’accepter les propositions, il ne reste d’autres moyens, pour empêcher que la rupture ne s’ensuive, que d’écouter les idées que l’Empereur présentera à son tour et de me charger de les porter moi-même à la connaissance du roi. En ce cas, et en employant de nouveau dix jours pour le voyage, je pourrais être de retour le 9 décembre, et, s’il réussit de suivre cette marche, il en résultera le double avantage que Napoléon n’apprendra la détermination du roi pour la guerre qu’après le 15 décembre, et que Sa Majesté saura, le 10 décembre, qu’elle