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1889. Les notes échangées entre I Angleterre et la Russie équivalent à un engagement mutuel de respecter l’indépendance de cet Etat, et aucun des deux gouvernemens, autant qu’on peut le savoir par les déclarations faites à plusieurs reprises par le Foreign-Office et en 1902 par lord Cranborne au Parlement britannique, n’a jamais tenté de répudier cette interprétation. Il y a lieu de faire ressortir en outre que l’absorption totale de la Perse serait contraire à la politique traditionnelle de la Grande-Bretagne qui consiste, depuis qu’elle est entrée en possession de son empire indien, à maintenir l’indépendance de la Perse et la liberté du commerce dans ce pays. Il ne faut pas oublier non plus que cette absorption, bien loin de l’éviter, ne ferait qu’augmenter l’antagonisme entre la puissance au profit de laquelle l’absorption aurait lieu et la puissance au détriment de laquelle se ferait l’absorption. La Russie notamment s’accommoderait-elle facilement de voir l’influence anglaise dominer exclusivement à la cour de Téhéran et le pavillon britannique flotter seul sur le golfe Persique ?

Mais, en dehors des arrangemens internationaux existans, les raisons invoquées par le capitaine Mahan pour justifier la nécessité de la mainmise de l’Angleterre en ce pays, ne sont pas, à notre avis, décisives. Il y a lieu de se demander si la présence d’une escadre russe dans les eaux de la Perse pourrait constituer par elle-même une menace bien sérieuse pour les Indes et la grande voie maritime qui mène d’Europe en Orient. Cette force navale placée dans une situation excentrique par rapport à l’empire russe, ne serait-elle pas plutôt, comme d’aucuns l’ont fait remarquer, une proie facile à capturer par la flotte britannique supérieure en nombre et maîtresse de l’Océan Indien ? Et pour ce qui est des intérêts économiques et commerciaux de l’Angleterre et de l’Empire indien, ces intérêts sont-ils tellement exclusifs qu’ils ne puissent coexister avec d’autres et se développer concurremment avec eux, tellement impératifs qu’ils ne puissent recevoir satisfaction que par l’absorption de la Perse au profit de l’Angleterre ?

C’est ce que ne paraît pas penser le gouvernement anglais lui-même. « Il faut, disait tout dernièrement lord Cranborne dans une séance du Parlement, il faut absolument qu’on se rende compte que nous n’avons pas le monopole du prestige en Asie, et qu’au fur et à mesure que d’autres pays doués de ressources