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II. — LA MÉTHODE DE PÉNÉTRATION RUSSE EN PERSE

Ainsi opérations financières, moyens de communications rapides maritimes et terrestres, mines et routes, commerce, navigation, ont été jusqu’en ces derniers temps monopolisés au profit de l’Angleterre, et l’absorption économique du royaume du chah par cette puissance aurait été un phénomène qui devait se réaliser dans un prochain avenir, si tout dernièrement la Russie n’avait opéré un changement radical dans sa ligne de conduite vis-à-vis de la cour de Téhéran.

Depuis longtemps la diplomatie russe assistait impuissante à l’envahissement pacifique progressif des diverses parties de la Perse par l’influence anglaise. Contre ce flot montant et irrésistible, la vieille méthode politique qu’elle avait adoptée depuis le commencement du siècle était vaine et se trouvait en défaut. La menace perpétuelle du canon et des divisions de cavalerie cosaque du Caucase, toujours suspendue sur la cour de Téhéran, ne pouvait empêcher ni les banknotes de circuler comme monnaie courante d’échanges, ni les marchandises anglaises de se répandre sur les marchés intérieurs, ni les produits de la Perse d’être exportés par le golfe Persique sous pavillon britannique. Cet épouvantait n’empêchait pas non plus les gros travaux publics et les grosses entreprises industrielles d’être exécutés par les capitaux anglais. Et l’on s’est demandé en Russie si la méthode qui consiste, pour dominer un pays, à lui faire peur, à lui prendre des territoires, à lui occuper des villes, à irriter ou diminuer sa faible puissance est bien la meilleure qui soit à suivre, et s’il ne vaut pas mieux, dans les relations d’un pouvoir européen avec un pouvoir indigène, éviter de faire perdre à ce dernier la face, afin de s’assurer les réalités et les résultats sans la conquête. La méthode forte a été enfin abandonnée, et, s’inspirant de l’exemple de l’Angleterre pour la mieux combattre, la diplomatie russe en est venue, elle aussi, à adopter la méthode pacifique qui consiste à protéger, au lieu de menacer, à se constituer bienfaiteur et gardien du pouvoir indigène, à l’étreindre enfin d’une telle sollicitude qu’il ne peut rien refuser.

Ce changement de front dans la ligne de conduite de la Russie date de quelques années à peine, et déjà l’on est à même d’en apprécier les étonnans résultats. L’initiative russe sur le