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a dû l’être au sauveur de l’Europe. — Cela ira, répondit Alexandre. Vous avez parfaitement bien mené la barque ; il s’agit maintenant de lui donner le dernier coup. J’ai trouvé beaucoup de bonnes dispositions. Mœllendorf pense à merveille ; même Haugwiiz s’est très franchement expliqué vis-à-vis de moi ; il est enchanté de votre empereur. J’ai surtout trouvé la reine plus courageuse que je ne croyais... Tout doit se faire. Ils tiennent à leur idée de médiation ; nous verrons : cette médiation ne saurait être qu’un ultimatum, que Bonaparte assurément n’acceptera pas, et nous en tirerons, dans ce cas, une insolente réponse, avant les trois semaines qu’il leur faut encore pour avoir ici toutes leurs armées sur les lieux[1]. » Metternich presse le tsar de leur forcer la main ; il lui dénonce « la constante envie de cette cour de traîner en longueur ce qu’elle voit ne plus pouvoir refuser. » Le tsar atténue les défaites, Elchingen, Ulm : « 20 000 hommes ne font pas la puissance autrichienne ! » « Les causes, dit Metternich, tiennent en grande partie à l’inconcevable défection d’un des plus puissans princes de l’Empire, et à un procédé de Bonaparte, qui, à ce qu’il faut espérer, lui sera payé avec usure. — Ah ! reprit le tsar avec vivacité, quant à l’Electeur de Bavière, mon cher parent, nous le pincerons, j’espère, d’importance ; il n’y a pas un exemple plus infâme à citer dans les annales de la guerre. »

Le soir, la cour se rendit à l’Opéra où l’on donnait Armide « avec ses ballets. » La salle acclama l’empereur et le roi. Les envoyés de France et de Bavière assistaient, dans leurs loges, à ces démonstrations sur le sens desquelles ils ne pouvaient se méprendre. Duroc, cependant, se flattait que la médiation prussienne n’exigerait de Napoléon que les concessions décidées par Napoléon lui-même, dupé, comme le furent tant d’autres, jusqu’à la fin, par les propos équivoques et vagues, par cet artifice qui consistait à présenter comme l’ultimatum de la paix immédiate et définitive ce qui n’était que le minimum des conditions exigées, un moyen de suspendre les marches de guerre, d’amorcer les négociations où se découvriraient, au fur et à mesure, les exigences réelles. Le 30 octobre, on vit paraître l’archiduc Antoine, muni d’une lettre de l’Empereur, appel désespéré au roi.

  1. Ainsi en 1815, au temps de l’armistice et du congrès, les rôles étant renversés, la Prusse liée à la Russie, et l’Autriche jouant, mais très habilement, le jeu que la Prusse tente, faiblement et gauchement, en 1805.