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raisonnable contre la France, » jugeant, comme tout le monde à Vienne, à Pétersbourg, à Londres, à Berlin, que « sans le concours complet et constant de la Prusse, la France ne peut pas être renvoyée dans ses anciennes frontières ; » que la France ne succombera que si elle est attaquée simultanément sur ses deux flancs, par l’Autriche et la Russie, en Suisse, en Italie, dans le Sud de l’Allemagne ; au Nord, par l’Angleterre, la Suède et 150 000 Prussiens ; que la guerre ne se fera pas pour « maintenir le statu quo, mais pour le changer, » et que ce doit être le principe fondamental de toute entreprise de l’Europe contre la France.

Il reçoit, le 26, un courrier de Vienne avec une lettre pour le tsar. Il sollicite une audience et l’obtient pour le 27. Les souverains sont venus à Berlin, où « il y a grand couvert, sur le service d’or, auquel sont admises toutes les personnes ayant le titre d’Excellence. » A quatre heures, Alexandre tient un cercle. Alopeus lui présente tous les ministres, sauf les envoyés de France, de Hollande, de Bavière, de Wurtemberg. Il reçoit Metternich « dans son appartement. » C’est la première rencontre entre ces deux hommes, dont l’un est déjà le maître omnipotent de la Russie, dont l’autre deviendra le meneur tout-puissant de l’Autriche ; destinés à combattre Napoléon, à l’abattre, à accomplir l’œuvre qu’ils méditent et concertent dès lors : refouler la France dans ses anciennes limites, anéantir la Révolution française, en ses effets ; tour à tour alliés contre Napoléon ou alliés avec lui l’un contre l’autre ; mais, dans l’hostilité même, ne se nuisant jamais et trompant toujours Napoléon ; plus redoutables peut-être, à la France, amis qu’ennemis ; souvent en rivalité, en lutte de prestige et d’influence, mais rivalisant aussi de souplesse, d’astuce, de ténacité dans l’entreprise commune ; l’an sous les apparences du mysticisme romanesque, l’autre sous la marque de la galanterie et de la frivolité mondaines, tous les deux « féministes, » hommes à bonnes fortunes ; mais, dans les affaires, profonds politiques et partenaires d’une suprême élégance en cette partie où se jouent, avec les destinées de l’Europe, l’existence de milliers d’Européens.

Alexandre vint au-devant de Metternich : « Vous êtes, Sire, dit l’Autrichien, à la suite de la plus généreuse en même temps que de la plus heureuse des révolutions, sur les lieux mêmes de nos longues et arides négociations : ce qui ne nous était pas réservé