Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/349

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rompre le lien qui l’attache à la religion, cet effort même l(y rengage, de la manière ou à peu près qu’en essayant de le dénouer, on ne réussissait, dit la légende, qu’à resserrer le nœud gordien. La solidarité ne devient morale qu’en se faisant religieuse.

On se trompe donc du tout au tout quand on avance que la solidarité, dont on ne saurait d’ailleurs nier « qu’elle semble se rapprocher de la charité chrétienne entendue en son vrai sens, » aurait sur elle cet avantage de ne rien avoir de métaphysique ni de confessionnel, et que « toutes les croyances, toutes les opinions philosophiques pourraient s’en accommoder. » Elles ne sauraient s’en accommoder que dans la mesure où elles sont précisément « confessionnelles » et « métaphysiques. » On nous pardonnera d’insister sur ce point. Ce n’est pas du tout « un fait positif, » — c’est-à-dire au delà duquel il n’y ait rien à chercher — que « les hommes sur cette terre soient obligés par la nature de vivre dans une étroite association ; » et cela dépend de ce qu’on entend par association. C’est une association que celle de l’homme et du cheval, par exemple, et c’en était une aussi que l’association du nègre et du planteur. Une autre forme d’association, très naturelle, et, dans tous les sens du mot, très « positive, » est l’association du fort avec le faible, pour l’exploiter ; et par exemple, l’association du nègre du Soudan avec la compagne dont il fait à la fois sa femme, sa servante et son bétail. Mais une association où les devoirs et les droits de chacun soient rigoureusement définis, d’une manière conforme à la justice, et sous une sanction qui garantisse le respect des uns et l’exécution des autres, voilà qui est moins « dans la nature, » ou plutôt voilà qui la passe, et voilà de quoi ne s’accommodent ni toutes les opinions, ni toutes les croyances ! L’opinion d’un haut mandarin ne s’en accommode point en Chine, non plus que la croyance d’un brahmane dans l’Inde. Et la morale du « respect de soi-même, » qui n’est que le premier degré de la morale du « surhomme, » la morale de Renan et de Nietzsche, croit-on qu’elle s’accommodât d’une « association » qui ne conférerait pas plus de droits à Nietzsche et à Renan qu’à un maçon ou à un terrassier de leurs concitoyens ? « L’association ne peut vivre que par le sentiment religieux, le seul qui dompte les rébellions de l’esprit, les calculs de l’ambition et les avidités de tout genre. » Ces paroles ne sont plus d’Auguste Comte, mais de Balzac, dans son Envers de l’histoire contemporaine, et justement Balzac, en