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rarement ces paroles d’Auguste Comte. On le lit peu ; elles ne sont pas très claires : et c’est toute une affaire que d’en expliquer, sinon d’en démêler le sens. Mais elles n’en ont pas pour cela moins d’importance, et on pourrait même dire que c’est une chose capitale que d’entendre le fondateur du positivisme affirmer, avec cette autorité, ce qu’on appellerait aujourd’hui, l’interdépendance de la « question religieuse » et de la « question morale. »

Il n’y a peut-être pas, en effet, d’entreprise où la philosophie du XVIIIe siècle, par l’organe de ses « plus éminens penseurs, » se fût acharnée plus obstinément qu’à séparer l’une de l’autre, et de manière à les empêcher de se rejoindre jamais, la morale et la religion. Toute la polémique anti-chrétienne de Voltaire n’a tendu qu’à ce but ; et, sur les ruines de l’orthodoxie confessionnelle, c’est l’autonomie, d’abord, et ensuite la souveraineté de la morale que l’auteur de la Profession de foi du Vicaire savoyard ou celui de la Critique de la Raison Pratique ont essayé d’édifier. Leurs leçons ne sont point demeurées vaines. Toute une école, qui compte encore de nombreux représentans parmi nous, a essayé, comme Voltaire, d’opposer les enseignemens de je ne sais quelle morale « naturelle » aux commandemens des religions positives ; et l’énumération serait presque infinie des « penseurs » qui, sur les traces de Rousseau et de Kant, se sont efforcés de trouver à la morale éternelle un fondement rationnel ou laïque. Il n’y en a pas beaucoup, à la vérité, qui aient essayé, comme cet économiste, ou ce politicien, de la fonder sur « la concurrence » ou, comme ce statisticien, de la « baser sur la démographie. » Mais, d’une manière générale on a « méconnu l’intime dépendance de la religion et de la morale ; » et, dirai-je que l’on s’est fait une gloire de la méconnaître, ou une facile originalité ? mais on s’en est fait à tout le moins une méthode, un système, et, comme les Victor Cousin ou les Jules Simon, ou s’en est fait des rentes philosophiques et une situation dans l’Etat.

Heureusement que, tandis qu’ils s’attardaient aux idées d’un passé désormais révolu, une information plus précise et plus étendue nous enseignait l’étroite connexion de la morale et de la religion dans l’histoire. Existe-t-il peut-être, aux bords de quelque lac de l’Afrique centrale ou dans quelque île perdue de l’Océanie, des peuplades étrangères à toute idée religieuse ? Les uns disent oui, les autres disent non. Mais ce que l’on peut affirmer, c’est que, quelque grossière que soit la religion de ces