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civilisation est l’épanouissement des caractères distinctifs d’une classe dominante ; elle est plutôt un effet qu’une cause ; les forces qu’elle met en œuvre portent une empreinte particulière ; ses énergies sont l’expression des sentimens de ceux de qui elles émanent. Aucune civilisation ne peut devenir juste ni s’inoculer la justice par la voie de réformes ou de règlemens extérieurs. Une civilisation équitable ne peut procéder d’une autre source que de la justice de ceux qui mettent ces forces en action et qui les contrôlent. [G. Herron, Christianisme social, traduction française, p. 103.] » Ce rôle n’est pas, n’a jamais été celui des hommes politiques ; nous ne devons pas souhaiter qu’il le devienne ; et c’est pourquoi, quand nous disons que la question sociale est une question morale, nous voulons dire, et nous entendons, avant tout, qu’elle n’est pas une question politique.

Elle n’est pas non plus une « question économique. » Ceci ne signifie point que les économistes n’aient pas voix au chapitre ; et, par exemple, il est clair que, s’il s’agit de modifier les conditions du contrat de louage, ou encore d’assurer le fonctionnement des syndicats professionnels, ce sont les économistes qu’il faudra consulter. Ils étudieront la « position » et les différens aspects de la question ; les hommes d’Etat s’inspireront d’eux pour formuler un texte de loi ; les jurisconsultes mettront ce texte en rapport et en harmonie avec les lois existantes. Mais, par hasard, si l’économie politique avait la prétention « d’opposer un blâme doctoral, comme le lui reprochait Auguste Comte, à l’intervention continue de la sagesse humaine dans les diverses parties du mouvement social ; » — si peut-être elle invoquait, et elle ne le fait que trop souvent encore, contre un idéal de justice l’immutabilité de ses prétendues lois, indûment assimilées aux lois de la physique ou de la biologie, de la pesanteur ou de la circulation ; — si peut-être elle enseignait que la paix sociale s’engendre du conflit ou de la rivalité des intérêts, et, justement, c’est bien ce qu’elle essaie de nous persuader quand elle prêche « la morale de la concurrence ; » — ou encore si son ambition, telle qu’autrefois un conservatisme apeuré la permit et l’encouragea dans un Bastiat, ne visait à rien de moins qu’à remplacer ou à suppléer la morale, c’est ici qu’elle rencontrerait sa limite, et c’est ici qu’il nous faut dire, en ce sens, et dans cette mesure, que « la question sociale n’est pas une question économique. »