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situation n’avait été plus critique que celle de Napoléon. » — « Au lieu de dicter des lois, écrit Talleyrand, Napoléon aurait été forcé d’en subir. »


V

La guerre est impopulaire en France ; à Paris, l’inquiétude, le mécontentement percent. Une crise financière, telle qu’on n’en avait pas vu depuis Brumaire et qu’on s’en croyait à jamais délivré, a suivi le départ de l’empereur. Il se produisit une panique sur le billet de banque ; on entrevit le spectre de l’assignat. Aussitôt, l’or et l’argent disparurent. La Banque de France réduisit ses échanges à vue. A Marseille, le préfet, Thibaudeau, inaugure, dans la salle de spectacle, un buste de l’empereur. Le public crie : A bas le buste ! A bas l’empereur ! Les fonctionnaires s’agitent, se troublent, insuffisans. Le ministre de la Police, Fouché, tire à lui le désordre, se crée comme une dictature postiche de salut public, et augmente l’inquiétude par cette évocation des temps sinistres. On reparle de séditions militaires, de rivalités, de complots même parmi les maréchaux, ou nomme Bernadotte, qui prend la succession de Moreau, puis Masséna, qui, dit-on, exècre l’empereur.

Les royalistes, terrifiés depuis l’exécution de Vincennes, recouvrent de l’audace. Les conspirateurs de l’Ouest se préparent, en vue d’une défaite, au bonheur d’une balle perdue ou d’une balle bien dirigée. On prévoit que, si des levées deviennent nécessaires, les paysans s’insurgeront en Vendée, en Belgique. Dumouriez s’embarque pour le continent, flairant la révolution. Aucunes troupes pour contenir la population. Ce qui reste suffit à peine à protéger les côtes contre les Anglais. Des agens royalistes cherchent à s’aboucher avec les officiers qui commandent ces détachemens : ils se réclament auprès d’eux de Moreau, dont le nom leur est toujours cher. Ils colportent les paroles du « Roi, » creuses et flatteuses : « Là où sera le Roi de France, là sera la frontière… Ma présence doit fixer le succès. » Le Comte d’Artois déclare que son frère gardera certainement toutes les conquêtes de la France, lorsqu’il aura repris possession de la couronne.

Au milieu de cette agitation, paraît le manifeste des alliés, rédigé selon l’esprit du traité du 11 avril, décevant et perfide,