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« les forçant à s’étendre, à s’amincir, afin de les rompre quand ils seraient trop engagés dans leurs manœuvres. » Un déserteur lui apprend qu’ils tombent dans le piège. Il dresse, en conséquence, son ordre de bataille ; il mande à Davout et à Bernadotte de rallier, en hâte. « Le maréchal Bernadotte préviendra son armée qu’il y aura bataille au delà de Brünn, demain ou après ; son artillerie marchera en guerre, et il prendra du pain, ce qu’il pourra[1]. »

Il s’agissait de confirmer les Russes dans leur illusion, et aussi de les observer de près. Napoléon renvoya Savary près du tsar et proposa une entrevue pour le 30 novembre. Savary, entre temps, se rendrait compte des mouvemens des troupes, ferait parler les diplomates et saurait ce que Novossiltsof cachait dans son portefeuille à négociations. Alexandre n’accepta point l’entrevue, mais, ripostant à l’envoi de Savary, il dépêcha un de ses aides de camp, le prince Dolgorouki, près de Napoléon. Dolgorouki était précisément l’un de ces « jeunes freluquets » dont les fanfaronnades étourdissaient Alexandre.

Le 30 novembre. Napoléon, averti de sa venue, se porta aux avant-postes, évitant ainsi une conversation officielle, tenant les Russes à distance de son armée, et laissant à toute l’affaire le caractère d’une rencontre fortuite. Dolgorouki, en l’apercevant, descendit de cheval ; l’empereur mit pied à terre. L’entretien eut lieu sur la route et dura environ un quart d’heure. L’arrogance, la jactance de Dolgorouki frappèrent les témoins de celle scène. A l’imitation de son maître, Dolgorouki affecta de ne donner aucun titre à Napoléon. — « Que veut-on de moi ? demanda l’empereur. Pourquoi l’empereur Alexandre me fait-il la guerre ? Que lui faut-il ? Il n’a qu’à étendre la position de la Russie aux dépens de ses voisins, des Turcs surtout. Sa querelle avec la France tomberait alors d’elle-même. »

Le Russe protesta du désintéressement de son maître : il ne combattait que pour l’indépendance de l’Europe, pour la Hollande, pour le roi de Sardaigne. — « La Russie, répliqua Napoléon, doit suivre une tout autre politique, et ne se préoccuper que de ses propres intérêts. » Puis, il le pressa, désirant connaître les conditions que Novossiltsof devait lui proposer et que les alliés prétendaient lui dicter par la guerre. Infatué, comme

  1. 28 novembre 1817.