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Avant de se remettre en marche, Napoléon lança, le 15 novembre, de Schœnbrünn, le vingt-quatrième bulletin de la Grande Armée, un de ces écrits prestigieux où il excellait, racontant, au jour le jour, l’histoire de sa geste, conseillant les rois, assignant l’Europe à ses assises, annonçant les destinées ; puis, tout à coup, s’ouvrant à ses soldats, au peuple français, des desseins de sa diplomatie ; résumant en quelques traits, significatifs pour tous, ses négociations ; peignant les hommes, semant, çà et là, les anecdotes chères aux Parisiens ; mêlant avec ce naturel, cette familiarité populaire qui n’est le propre que des écrivains de génie, le ton de l’épopée et celui de la chronique, la polémique la plus acerbe à l’envolée de l’histoire. L’empereur, dit le bulletin, travaille dans le cabinet de Marie-Thérèse. En voyant la statue de marbre de cette impératrice, il a dit que « si cette grande reine vivait encore, elle ne se laisserait conduire par les intrigues d’une femme telle que Mme de Colloredo[1]. Elle aurait connu la volonté de son peuple. Elle n’aurait pas fait ravager les provinces par les Cosaques et les Moscovites. » Il montre Cobenzl « courtisan, » aveuglé par une étrangère, l’impératrice, Napolitaine ; Collenbach, un cuistre ; Lambert, un émigré ; Mack, général délégué par l’Angleterre, menant cette cour aux abîmes. « Les malheurs du continent sont le funeste ouvrage de l’Angleterre. » Il expose l’affaire de Hollabrünn, comme il veut que la France la voie. Il raconte la reprise, par Ney, dans l’arsenal d’innsbrück de deux drapeaux perdus dans la guerre des Grisons : « Les larmes coulaient des yeux de tous les vieux soldats. Les jeunes conscrits étaient fiers d’avoir servi à reprendre ces enseignes,,. Les drapeaux sont l’objet du culte du soldat français, comme un présent reçu des mains d’une maîtresse, » Il prête ce langage aux Autrichiens pillés, désaffectionnés de leurs princes : « Nous et les Français, nous sommes les fils des Romains ; les Russes sont les enfans des Tartares. Nous aimons mieux mille fois voir les Français armés contre nous que des alliés tels que les Russes, » Et il conclut : « C’est pour la dernière fois que les gouvernemens européens appelleront de si funestes secours, d’ici à cent ans, il ne sera, en Autriche, au pouvoir d’aucun prince d’introduire les Russes dans ses Etats. »

Le 17 novembre, il était à Znaym, C’est là qu’il apprit la

  1. Née de Crenneville et fort mêlée aux affaires de Naples.