les surprendre dans leur marche et les anéantir par morceaux. Mais Koutousof qui commandait l’avant-garde russe n’était pas homme à se prêter, comme Mack, aux enveloppemens classiques. Inaugurant la tactique qui devait l’illustrer plus tard et perdre l’armée française, il refusa la bataille et se retira, entraînant Napoléon hors de ses voies, hors de ses plans, vers les marches slaves du Saint-Empire, les confins de la Pologne, la Moravie, où le gros de l’armée russe se retrouverait, uni aux Autrichiens. Murat ne comprit pas le mouvement et laissa échapper Koutousof ; Mortier se fit battre. François II proposa un armistice. Napoléon répondit par des conditions de paix : cession de la Vénétie et du Tyrol ; évacuation de l’Autriche par les Russes. Quant aux Prussiens, « s’ils veulent s’entremettre, dit-il, qu’ils me déclarent la guerre ! »
Vienne fut abandonnée. Napoléon y fit son entrée, le 13 novembre, la première dans une capitale ennemie. L’armée, en grande tenue, défila, exaltée de sa propre magnificence. « Les habitans des deux sexes garnissaient les croisées, une très belle garde nationale, en bataille sur les places, nous rendait les honneurs ; leurs drapeaux saluaient nos aigles, et nos aigles leurs drapeaux. Aucun désordre n’a troublé ce spectacle extraordinaire... Nos soldats semblaient avoir oublié leurs habitudes de rapine pour se livrer exclusivement à un noble sentiment d’orgueil. Jamais je n’ai été si fier d’être Français[1]. » Napoléon rassura les obséquieux Viennois et les taxa d’un impôt de guerre de cent millions. Il coucha dans le palais de Schœnbrünn où devait mourir de consomption, en un uniforme blanc d’archiduc, un fils né de son sang. Le combat de Hollabrünn, le 16 novembre, sanglant, acharné, montra les Russes en 1805 aussi redoutables à la Grande Armée que l’avaient été à l’armée républicaine ceux de 1798. Ce fut une victoire, non un succès, car Napoléon échoua dans son dessein et Koutousof réussit dans le sien : il put attendre, sous le canon d’Olmüt, Benningsen qui venait de Silésie, l’archiduc Ferdinand qui venait de Bohême, l’archiduc Charles rappelé, en hâte, d’Italie. Devant Napoléon, l’impasse se fermait, derrière lui se creusait le fossé : la Prusse menaçait de couper ses communications. Une grande bataille s’imposait, seule capable de prévenir la concentration de l’ennemi.
- ↑ Mémoires de Thiébault. Voir les Mémoires de Comeau et ceux de Fantin des Odoards.