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apporté des procédés d’un nouveau genre. L’impérialisme poussé à outrance produisait déjà quelques-uns de ses effets logiques. De ce moment date le déclin de lord Salisbury.

Il portait dans son éloquence le naturel parfait qui était dans ses manières et dans sa conversation, mais aussi cet humour à la saveur relevée et parfois amère, cette parole sarcastique et mordante, voisine du persiflage, qui semblait tenir à la tournure même de son esprit. Foncièrement aristocrate sous les dehors les plus simples, il ne ménageait personne, et le mot qui s’échappait de ses lèvres tombait de tout son poids sur la tête du pauvre monde, qu’il meurtrissait quelque peu. Lord Salisbury n’y prenait pas garde. Il avait à coup sûr quelque dédain, au moins quelque indifférence pour les autres, mais aucune malveillance réfléchie et consciente. Il n’a jamais cherché un conflit. On n’a jamais pu lui attribuer, sinon une parole prononcée, au moins une action faite avec l’intention de blesser. Enfin, on sentait en lui cette supériorité très sûre d’elle-même qui tient à l’habitude de vivre dans la région des grandes affaires, en face de responsabilités courageusement assumées. Aucun homme d’État britannique, peut-être parce que quelques-uns d’entre eux sont encore jeunes, n’a hérité de son autorité morale. Tous ceux qui écriront l’histoire de l’Angleterre dans la seconde moitié du XIXe siècle diront qu’elle se résume en Disraëli, Gladstone et Salisbury. Avec des qualités et des défauts différens, ils ont été tous les trois de la même taille, qui semble supérieure à celle de la génération actuelle. C’est pourquoi la disparition du dernier d’entre eux inspire un peu de la tristesse que provoque toujours celle d’un homme qui a été, en somme, un noble spécimen de sa race et un acteur de premier plan sur le théâtre du monde.


FRANCIS CHARMES


Le Directeur-Gérant,

FERDINAND BRUNETIERE.