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seul serait fait. Il y a eu toutefois, à la première nouvelle de la démonstration navale, une inquiétude assez vive, mais très rapidement dissipée, dans un certain nombre de journaux européens, et il faut reconnaître qu’elle avait quelque raison d’être, non pas qu’on se défiât des intentions de la Russie, mais parce que les événemens obéissent à une logique propre sur laquelle les intentions ont quelquefois peu de prise. L’espoir persistant, la chimère, le rêve des révolutionnaires bulgares est qu’un jour ou l’autre l’Europe sera obligée d’intervenir, et que cette obligation s’imposera à la Russie plus impérieusement encore qu’aux autres puissances. Ne serait-ce pas pour elle renoncer à toutes ses traditions historiques que de s’abstenir jusqu’au bout, et de laisser les populations macédoniennes en proie aux rudes répressions dont la Porte est coutumière ? Combien de sang faudra-t-il répandre pour que l’Europe, et plus particulièrement la Russie, sortent de leur inertie ? Ce sang, quelle qu’en soit la quantité, on le verserai C’est ainsi que raisonnent les insurgés. On a vu déjà, il y a quelques mois, à Salonique, de quoi ils étaient capables ; on vient de le voir de nouveau à Kouteli-Bourgas. Quand ils ont appris que la Russie envoyait des navires dans les eaux ottomanes, leur imagination s’est donné carrière : ils ont cru, ils ont voulu croire que leurs espérances obstinées commençaient enfin à se réaliser, que la Russie serait entraînée bon gré mal gré plus loin qu’elle ne voulait aller, que les circonstances seraient plus fortes que sa diplomatie. Ils se trompaient, et la Russie a bien montré qu’elle restait maîtresse de sa politique. Il n’en est pas moins vrai que l’arrivée de ses vaisseaux à proximité du Bosphore a coïncidé avec l’extension subite de l’insurrection au vilayet d’Andrinople, et on a pu se demander s’il y avait là simple coïncidence, ou s’il n’y avait pas plutôt relation de cause à effet. La prompte soumission de la Porte et le rappel des navires russes ont dissipé sans doute, au moins pour le moment, les illusions des insurgés bulgares ; mais on a pu voir une fois de plus combien, dans ce pays où les matières inflammables sont partout à fleur de terre, il est dangereux de jouer avec le feu. L’insurrection, — peut-être est-il plus exact de dire l’anarchie révolutionnaire, — s’étend aujourd’hui depuis la mer Adriatique jusqu’à la Mer-Noire. L’insécurité, la panique, la terreur sont partout, et ces sentiments ne sont que trop justifiés. Le mal est si profond que le premier effet des remèdes qu’on cherche à lui appliquer semble être d’en augmenter l’acuité et l’intensité, comme il arrive chez certains malades où, si on les applique à un organe, ils en altèrent un autre et