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le roman-feuilleton met en scène, la Fille-Mère est celui qui reparaît le plus fréquemment. Elle y tient la place que tenait le mariage dans les anciennes comédies. Elle y est comme une institution, comme une nécessité, et ses chutes, qui ont toujours les suites les plus tragiques, sont toujours, en même temps, des chutes qui vont sans dire, qui se passent comme en vertu d’un postulat, et dont on n’a pas plus à demander la raison qu’à la donner. Elles en deviennent des chutes légitimes, et ce personnage de la Fille-Mère, tel que tout feuilleton nous le montre, finit par pouvoir se résumer ainsi : toujours présent, toujours malheureux, toujours innocent ! Que voulez-vous conclure, en voyant aussi constamment la Fille-Mère sous cette figure, sinon que la société est barbare, et que le mariage fait partie de sa barbarie ?


VII

Si nous passions en revue tous les types sociaux du roman-feuilleton et toutes les variétés qui peuvent s’y rattacher, nous les retrouverions presque tous, et presque toutes, conçus ainsi selon une tendance. Le magistrat n’apparaît que peu dans le Juif-Errant, mais n’y paraît jamais que pour se tromper. Un brave bourgmestre de petite ville est appelé à se prononcer entre un abominable coupe-jarret et un admirable vieux soldat, gardien fidèle de deux jeunes filles. Le brave bourgmestre, vous l’avez deviné, donne raison au coupe-jarret contre le vieux soldat et les deux jeunes filles. Il n’y manque pas ! Une mauvaise femme accuse calomnieusement une honnête ouvrière d’avoir volé de l’argent. Le commissaire, vous le devinez encore, croit tout de suite à la calomnie. Il n’hésite pas ! Le forgeron-poète Agricol Beaudoin n’a jamais songé une minute à conspirer ? La Justice, immédiatement, l’arrête comme conspirateur, tout en n’ayant aucune raison de l’arrêter. Elle n’y faillit pas ! Un vol, dans les Drames de Paris, est commis dans un ministère ? On a le plus grand soin d’inculper un innocent. Un forçat, dans Blanche Vaubaron[1], s’évade du bagne ? Il est bien entendu d’avance que c’est un forçat condamné par erreur. Un horticulteur, dans le Guet-Apens, est condamné à mort, et mené jusqu’au

  1. Blanche Vaubaron, par Xavier de Montépin.