Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et, un soir, en Bretagne, quelques années après, au château de Kerlowen, chez le comte et la comtesse, le fils du colonel, le jeune Armand de Kergatz, joue sur la terrasse du château, à pic au-dessus de l’océan, quand la comtesse, tout à coup, n’entend plus jouer le petit garçon. Elle l’appelle, mais il ne répond pas, et le comte, en effet, a profité du soir et du fracas des vagues pour lancer l’enfant à la mer. Le petit de Kergatz gênait le comte, et le comte, en « homme du monde, » l’a tranquillement supprimé. Puis, vingt-quatre années passent encore, la comtesse a un second fils, et celui-là, Andréa Felipone, digne rejeton du terrible comte Felipone, va devenir, sous une série de noms d’emprunt, le centre de tout un milieu supra-mondain en même temps que de toute une association de brigands qui opéreront à la fois dans les cercles, les familles, à Paris et aux environs... Une nuit, à la campagne, le vicomte Andréa joue avec un baron, et le baron lui gagne cent mille écus. Le vicomte ne dit rien, reconduit le baron, l’assassine dans une allée, et rentre dans ses cent mille écus... Autre tableau, passé minuit, sur le quai des Célestins : un promeneur voit une lumière à une lucarne, et lance, « à travers l’espace, le coup de sifflet des filous. » Immédiatement, la lumière s’éteint, et un homme vient rejoindre le promeneur. Ce promeneur, c’est le vicomte. En sortant de soirée, il a sifflé le sous-chef de ses brigands, avec qui ce dialogue s’engage :

— « C’est bien, Colar, tu es fidèle au rendez-vous.

— « Monseigneur, pas de noms propres :... La Rousse a de bonnes oreilles.

— « C’est juste, Colar, mais les quais sont déserts...

— « N’importe, Monseigneur... Si votre Seigneurie veut causer, nous irons sous le pont et nous parlerons anglais... »

Troisième tableau : le vicomte, comme bandit, s’appelle le capitaine Williams. Une nuit, il passe sa troupe en revue dans une maison borgne, et Colar lui présente ainsi ses coquins :

— « Monseigneur, un jeune homme de bonne famille, qui, s’il n’avait pas eu quelques démêlés avec la Rousse, serait entré dans la magistrature ou la diplomatie. On l’appelle, de son vrai nom, le chevalier d’Ornit, mais il s’est prudemment débaptisé... Il a de petits talens très suffisans. Personne mieux que lui ne fait le tiroir au lansquenet. Au besoin, il joue du couteau très proprement... »