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un autre surnommé Propre-à-Rien parce qu’il fait, à lui tout seul, toutes les corvées de la compagnie. C’est le soir, les grenadiers écossais vont souper, les rôtis fument et grésillent devant les feux pétillans, on sent « l’odeur des jus qui tombent dans les lèchefrites, » et « l’eau vient à la bouche » des Français affamés. Mais aucun d’eux « ne perd la dignité de sa posture. » L’estomac « voudrait parler, » mais « la fierté nationale lui impose silence, » et le sergent Morin grogne sous sa vieille moustache :

— « Du calme, les enfans, sachons attendre ! »

Alors, l’Aimable-Auguste :

— « Bah ! les jambes nues ne nous mettront pas au pain et à l’eau :... »

Et le vieux sergent réplique :

— « S’ils le font, souvenons-nous du vieux drapeau :... »

Mais les grenadiers écossais, avec leurs beaux costumes et leurs bons cuisiniers, sont aussi de braves gens. Ils traitent leurs prisonniers en hôtes, et les invitent à leur repas[1].

Avec le Capitaine Simon[2], nous ne sommes plus à la guerre, mais la vie de garnison que nous y voyons est aussi mouvementée et dramatique que la guerre. Enragé batailleur, le capitaine Simon a la folie du duel. Pour un oui, un non, une façon de le regarder qui ne lui va pas, une place qu’on prend au café et qu’il ne lui plaît pas de voir prendre, il provoque et tue son homme.

— « Allons, lui dit un jour le colonel Gontault, en le prenant par le bras et en le regardant en face, à nous deux, capitaine ! »

Mais le colonel l’a élevé, l’a toujours protégé comme son fils adoptif, et lui demande, en le tutoyant brusquement :

— « Réponds :... Autrefois, tu m’appelais ton père... Ai-je mérité pour toi ce nom de père ?... T’ai-je toujours traité avec douceur, moi qui fais trembler tout le monde ?...

— « Oui ! colonel, balbutie le capitaine Simon, qui est sensible et bon, malgré sa tragique manie.

— « Eh bien ! capitaine, il faut que cela finisse, et je vous mettrai aux arrêts forcés pendant deux mois, pendant six mois !... Vous avez tué ou blessé onze bourgeois... C’est une folie furieuse :... Et vous vous attaquez à de paisibles citoyens... C’est d’un insensé, ou d’un lâche ! »

  1. Le Capitaine Fantôme.
  2. Le Capitaine Simon, par Paul Féval.