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L’armée russe était en marche et approchait des frontières. Quatre jours après, le 1er septembre, Duroc arriva avec la lettre de Napoléon, réclamant aussi alliance et passage. Duroc vit Hardenberg le 2 septembre et fut reçu, le 3, par le roi. Ce prince parut fort ému de la communication, mais il déclina les offres : « Ce projet a dû être jugé entièrement inadmissible, puisqu’il ne tend à rien moins qu’à m’enchaîner pieds et poings liés à la cause et aux intérêts de la France, et à m’entraîner dans une offensive incalculable dans ses effets et ses bornes. »

D’ailleurs, si Napoléon propose un traité, Alexandre en possède un : la déclaration du 24 mai 1804 ; elle porte : « Le casus fœderis aura lieu à la première entreprise des Français contre un État de l’Empire situé sur la rive droite du Weser. » Lié de la sorte, Frédéric-Guillaume pourrait-il, sans félonie, s’engager contre le Russe avec Napoléon, ou simplement faciliter à Napoléon les moyens d’une invasion que l’alliance du 24 mai 1804 avait précisément pour objet d’empêcher ? Dans cette extrémité, il ne trouvait plus de recours qu’à Vienne ; il y envoya un courrier, et Hardenberg s’occupa, jusqu’à la réponse, de tenir Duroc et Alopeus en suspens. Si le roi se berçait encore de neutralité, Hardenberg ne s’en flattait plus guère : ses propres fils lui semblaient trop ténus pour résister à de telles bourrasques. « Les espérances de paix ont encore plus diminué et la guerre paraît décidée, écrit-il, le 8 septembre, à Brunswick, nous ne sommes rien moins que sûrs du côté de la Russie. Il paraît qu’on veut nous forcer à nous unir à la coalition... »

Ils s’imaginèrent qu’en sonnant du fifre, battant le tambour et traînant les sabres sur le pavé, le tapage détournerait, de part et d’autre, les violateurs de neutralité. Ils mirent les troupes sur pied : « Une armée de 80 000 hommes qui, au premier signal, pourra être portée à un nombre beaucoup plus considérable, » écrivit, le 9 septembre, le roi à Lucchesini. Devant ce déploiement de forces, et pour s’en débarrasser, Napoléon les laisserait dériver vers le Hanovre ; ils occuperaient ce pays, de son consentement tacite, sans traité, ce qui éviterait le conflit d’engagemens avec la Russie. Mais en auraient-ils le loisir ?

La marche des Russes prenait un aspect d’invasion. Hardenberg s’en explique avec Alopeus, — Le roi, dit-il, ne se décidera jamais pour la France, si la Russie ne l’oblige pas à sortir de ses principes. Qui tentera de lui faire violence, le verra