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qu’on puise dans une chaudière qui ne s’éteint jamais, et l’on recommence l’opération. Mélangée d’eau, l’huile s’écoule dans les tinettes et surnage : on la recueille délicatement avec des « palettes, » qui ne détachent du liquide que la couche superficielle : quoique inférieure, cette huile « échaudée » est presque toujours mélangée à l’huile vierge ; la séparation des deux qualités constitue un raffinement devenu rare aujourd’hui. Il faut se rappeler que, moins une huile a été échaudée et pressée, meilleure et plus fine elle paraît ; le rendement augmente en raison inverse de la bonté.

Partiellement dépouillée de son huile, l’eau restante découle dans « l’enfer » ou récipient souterrain creusé sous l’huilerie, et, à la fin de la campagne, le locataire du moulin retire de cette nappe d’eau une certaine quantité d’huile plus ou moins crasseuse, de qualité très inférieure, qu’il vend, à son profit, pour l’éclairage. Les mauvaises langues ont affirmé de tout temps que, dans certains moulins, les palettes, adroitement maniées, n’écrémaient pas à fond les produits de la presse d’échaudage et que « l’enfer » fournissait encore pas mal d’huile à l’ouvrier chargé d’en extraire les résidus. A présent, l’huile d’éclairage vaut beaucoup moins et l’huile à manger gagne à ne pas recevoir un excès de liquide de seconde pressée, la force d’écrasement étant supérieure à celle de jadis : les intérêts de l’usinier et ceux de ses cliens ne sont plus en désaccord.

Naturellement, l’homme qui travaillait dans « l’enfer » se nommait autrefois « le diable. » Diables ou non, les travailleurs que nous écoutons dialoguer pendant l’exécution de la besogne conversent, non en piémontais, mais en pur patois de la banlieue d’Aix. Ce sont tous des ouvriers campagnards du voisinage, qui sont bien aises de se livrer passagèrement à ce dur travail, à une époque de chômage forcé dans les champs. Leur besogne est payée à la tâche par le patron, et ils peuvent ainsi gagner de 4 francs à 4 fr. 50 par vingt-quatre heures. Ont-ils à craindre pour leur santé, avec leur labeur ininterrompu au sein de ténèbres relatives ? Moins qu’on pourrait le croire, car, après le Jour de l’an, quand ils reprennent leur vie ordinaire, ils se retrouvent pâlis, mais sensiblement engraissés.

Outre les profits qu’il retire de son « enfer, » le locataire du moulin exige des propriétaires qui lui apportent leurs olives à triturer 0 fr. 25 de redevance par double décalitre de fruits, et il