cotonnade et, pour celui des mioches, tout au moins un béret et une paire de galoches vernies. Voilà notre homme « pouillé » de frais, et les siens par surcroît. Nouvelle déambulation par les rues ; nouvelle tentative de l’homme pour gagner au large ; nouvelles supplications de sa smala pour le retenir, le « soulager » de gré ou de force des quelques écus qui lui restent. La liste est si longue des comptes qu’il faudra régler au village chez l’épicier, le boulanger, le mercier, le cordonnier !… L’homme regimbe, s’emporte : « Qu’est ce qui m’a f… des femelles pareilles ? » Bien sûr donc qu’il ne va pas virer de bord comme ça sans trinquer avec les copains ! Mais la femme tient bon ; elle connaît son homme, cette veulerie étrange dont semblent frappés sur la terre ferme la plupart des marins, semblables à ces oiseaux de mer d’une agilité surprenante et qui, sortis de leur élément, font par leur gaucherie la risée des badauds et des snobs. Par dessus tout elle craint cette ville de proie, ce Saint-Malo où la débauche est un négoce comme les autres, où la luxure s’embusque à tous les coins et harcèle jusqu’aux mousses de quatorze ans. Mon Dieu, elle se rend bien compte que son homme est comme tous les hommes et qu’il faut bien qu’il prenne un peu de bon temps par-ci par-là. Une petite « noce » n’est pas pour l’effrayer et même, tout à l’heure, quand on sera remonté dans la guimbarde, elle ne verra pas de mal à ce qu’on s’arrête en route un peu plus souvent que d’habitude, histoire de vider une bolée ou deux dans les guinguettes du Clos-Poulet. Habilement réservé pour la péroraison, ce dernier argument paraît faire son effet sur le récalcitrant. La femme se hâte d’en profiter ; l’homme n’a pas eu le temps de protester, que quatre paires de bras l’ont saisi par derrière et hissé dans la vieille guimbarde familiale. Hue, cocotte ! Le tour est joué. Mais, pour un de sauvé, combien qui succombent à la tentation ! D’un coup de reins, l’homme s’est débarrassé des gêneurs pendus à ses chausses. Il est parti Dieu sait où et pour combien de temps ! Et c’est alors dans Saint-Malo un spectacle à serrer le cœur, que celui de ces pauvres familles désorbitées, errant de venelle en venelle et de cabaret en cabaret à la recherche du disparu. Comment peindre cette battue lamentable, cette chasse à l’homme dégradante, coupée d’affûts mornes aux carrefours et sur le seuil des mauvais lieux où l’on soupçonne la présence du chenapan ? Ils ne sont pas rares, les brutaux et les égoïstes qui n’ont égard qu’à eux-mêmes et, quand
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