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de Saint-Pierre, qui, afin de disculper le capitaine, lui aurait « délivré un certificat mensonger. » Finalement, le parquet a classé l’affaire, ne parvenant pas à se débrouiller entre ces témoignages contradictoires.

Je ne dis point qu’il faille supprimer le mousse à bord de tous les navires, et c’est se moquer des gens de prétendre qu’homme fait il ne tirera aucun parti des connaissances techniques si péniblement acquises pendant son apprentissage. « À quoi lui servira, demande-t-on, de savoir confectionner des nœuds d’agui, des demi-clefs, des tresses d’amarrage, des épissures rondes, plates ou carrées, etc., etc., si on l’embarque plus tard sur ce que, dans l’argot marin, on appelle pittoresquement une « casserole, » c’est-à-dire un cuirassé ? » Il n’y restera pas toute sa vie, et, si ces connaissances lui sont inutiles dans la flotte, elles lui serviront quand il rentrera au commerce. Relativement douce à bord des pêcheurs côtiers, supportable à bord des longs-courriers et des caboteurs, la condition des mousses n’est vraiment intolérable qu’à Terre-Neuve et en Islande, sur ces bagnes flottans que sont pendant six mois les navires moruyers [1].

Ce qui complique le problème, c’est que, si précaire et si dure que soit la condition des mousses, les enfans de la côte témoignent pour ce métier une passion véritable. Tout petits, le vent du large plia leurs poumons à son rythme ; ses iodes et son sodium, mêlés au lait maternel, leur firent le sang riche et agile. Plus tard, de nourricier passé magister, il façonna leur âme à son image ; il la voulut fougueuse, inquiète et vagabonde comme lui. Pour les attirer sur la grève, leur souffler à l’oreille ses suggestions perfides, il savait prendre, les jours d’été, des inflexions d’une douceur irrésistible. L’ensorceleur les suivait au foyer domestique, se faufilait sous les portes, entre les planches, par le trou des serrures, et venait rôder, la nuit, autour de leurs

  1. C’est aussi l’avis du commandant Faubournet. « La présence d’un mousse, enfant de 14 ans, dans ce milieu d’hommes rudes, est regrettable à tous points de vue, sans présenter aucune utilité bien réelle. Le mousse est censé faire la cuisine ; mais il n’a aucune aptitude pour s’acquitter de cette fonction ; en réalité, il est mis en supplément à tous les travaux, sans besogne bien fixe. On ne devrait pas embarquer de marins de moins de 18 ans sur les navires bancquiers. À cet âge, l’homme des côtes est encore assez jeune pour être formé au métier de la mer, et on ne peut pas objecter que l’embarquement du mousse répond à la nécessité de former des marins. » (Revue Maritime, février 1902. Rapport de fin de campagne du commandant de la division navale de Terre-Neuve.