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de causes qu’elle peut. A Paris, elle intrigue au Conseil du Roi (1646) pour faire casser les jugemens favorables aux hérétiques rendus par des Parlemens de province (Bordeaux, 1644). Inversement, elle s’oppose (à Limoges, 1648) à l’exécution d’un arrêt du Conseil du Roi. Partout elle sollicite infatigablement « pour, dit d’Argenson, tirer des magistrats toute la justice que les affaires de l’Etat peuvent permettre de rendre contre les ennemis de l’Eglise catholique. »

Depuis 1638, d’ailleurs, — année où, selon d’Argenson[1], « elle réveilla son zèle contre les hérétiques, » — ce qu’elle avait fait jusque-là d’une façon fragmentaire et dispersée, elle le coordonne en système et l’applique en général. Le système tient en une formule pratique : « S’opposer à la liberté, que voulaient se donner les hérétiques, de faire ce qui ne leur était pas explicitement permis par les édits. « Les proies tans invoquent toujours les édits ; le gouvernement, pour les ménager ou ne les molester que médiocrement, se dit lié par les édits ; — soit. On verra ce que ces édits, interprétés à la lettre, opposés les uns aux autres, permettent ; — si la liberté de conscience et d’exercice, réduite aux termes exacts des textes conférés, ne se trouvera pas réduite à peu de chose ; si l’Edit même de Nantes, que les catholiques ont jusqu’ici naïvement déploré, n’est pas pour eux une ressource excellente et méconnue. Quant à l’application générale de cette tactique nouvelle, tout de suite la Compagnie l’organise, sauf à la perfectionner peu à peu. Dès 1638, celle de Paris fait écrire à ses « filles » de province « pour leur demander des mémoires sur ce qui se passait, » au sujet des huguenots, en leurs quartiers. En 1659, à la circulaire est jointe un questionnaire, en trente et un chefs ; en 1654, elle avait nommé un comité permanent de commissaires pour examiner ces rapports[2]. On aura ainsi, copieuse, une provision de matières à chicane. Quant aux procédés de chicane, les voici : « La Compagnie de Paris pria les particuliers de recueillir tous les édits, déclarations et arrêts donnés » contre les réformés ; « on en rapporta » bientôt « un grand nombre, » dont « on envoya les copies à M. Filleau, » avocat au Présidial de Poitiers, qui en composa lentement[3],

  1. P. 77. Cf. p. 96.
  2. Allier, p. 313-316.
  3. D’Argenson ; p. 77-78. Les Décisions catholiques de Filleau parurent seulement en 1663.