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dépenses ; elle a conclu un arrangement commercial avec la France. De même l’Espagne est entrée, un peu malgré elle, mais avec une résignation pleine de dignité, dans la voie qui lui est tracée depuis sa lutte contre les États-Unis. N’ayant plus de colonies, — et depuis longtemps elles lui coûtaient plus qu’elles ne lui rapportaient, — elle a eu la sagesse de réduire, s’il est permis de s’exprimer ainsi, son train de maison.

Nous n’avons pas à discuter ici la politique qui dicte les dépenses ni à en examiner les conséquences pour telle ou telle nation, considérée en particulier. Mais nous avons le droit d’attirer l’attention des hommes d’État sur un point, que certains d’entre eux ignorent ou veulent ignorer : les forces contributives d’un peuple ont des limites ; elles ne peuvent être indéfiniment mises à l’épreuve ; les budgets ne doivent pas s’enfler chaque année, sans trêve ni merci, surtout là où la population est stationnaire et où par conséquent une somme sans cesse accrue se répartit entre le même nombre de contribuables. Ce qu’on a appelé « l’obsession fiscale » paralyse l’activité nationale ; un budget congestionné, des déficits chroniques que l’on bouche à coup d’emprunts occultes ou avérés, en les dissimulant à l’aide d’une comptabilité artificielle, l’accroissement des charges permanentes, engendrent, tôt ou tard, des maux inéluctables ; le crédit public baisse, la dette s’accroît d’autant plus rapidement que le taux auquel l’État débiteur emprunte devient plus défavorable ; les agens du fisc recherchent avec une sorte de fureur les moindres manifestations de la vie économique pour les atteindre à leur source ; le Trésor, comme une immense pompe aspirante, attire à lui tous les canaux de la richesse nationale, pour les déverser à son tour avec une égale rapidité au profit de légions de fonctionnaires budgétivores. Peu à peu un ralentissement des affaires légitimes, de l’initiative individuelle, apparaît ; une sorte d’épuisement, comme le disait éloquemment M. Paul Leroy-Beaulieu, s’empare du corps social et pourrait à la longue ébranler les constitutions les plus robustes, si les yeux des gouvernans et des citoyens ne se dessillaient et si, par un brusque effort de volonté, les uns et les autres, rappelés enfin à la réalité des choses, ne procédaient à une de ces réformes radicales qui, dans la vie des peuples comme dans celle des individus, marquent le retour à la santé.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.