Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/961

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

question qui pour lui serait vitale, ou même d’un intérêt puissant, serait une chimère ; mais il y a des questions sur lesquelles on accepte d’avance d’avoir tort pour en finir, parce qu’elles ne touchent à aucun intérêt profond, et ce sont celles-là qu’on abandonne à des arbitres. Encore ne le fait-on pas toujours. Ce serait une erreur de croire que ce soit, dans tous les cas, un embarras pour un gouvernement d’avoir avec un autre des questions pendantes. Rien de plus anti-diplomatique que cette conception, si on s’y arrêtait d’une manière absolue. L’art du diplomate consiste en partie à réserver certaines questions pour faciliter plus tard une transaction sur d’autres, en vertu de l’axiome : do ut des ; l’habileté est de les laisser mûrir ensemble, et de saisir le moment opportun pour résoudre celles-ci au moyen de celles-là ; c’est en quoi se manifestent le tact et le doigté de l’opérateur. L’esprit diplomatique est bien souvent le contraire de l’impatience qui porte certaines personnes à rechercher à tout prix des solutions immédiates et précipitées. M. d’Estournelles, qui a suivi longtemps et brillamment la carrière, le sait fort bien, et, dans son discours de Londres, il proteste de ses bonnes intentions à l’égard de la diplomatie, qu’il n’entend pas dépouiller de ses moyens d’action. Mais, dit-il, elle ne préviendra pas toutes les difficultés : « est-ce l’offenser que de lui offrir un moyen d’en régler quelques-unes pacifiquement, quand elle n’aura pas pu les concilier ? » Non, sans doute, ce n’est pas l’offenser. Réduite à ces termes, la prétention de M. d’Estournelles n’a rien que de légitime. Mais il nous semble en être un peu sorti lorsque, après son retour à Paris, il a écrit à M. le ministre des Affaires étrangères une lettre qui est comme une mise en demeure et une injonction d’avoir à remplir tout un programme politique dont il lui dicte les termes, en lui donnant trois mois pour l’exécuter. Est-ce bien, cette fois encore, l’ancien diplomate qui parle ?

Le premier point du programme est naturellement la conclusion d’un traité d’arbitrage avec l’Angleterre, en vue de fournir des causes à la Cour de La Haye. « Ce traité signé, dit M. d’Estournelles, les Anglais ne demandent qu’à se mettre d’accord avec la France et la Russie pour limiter l’écrasant fardeau des dépenses militaires navales des trois puissances ; j’ai reçu à cet égard, verbalement et par écrit, des assurances catégoriques. » Il est tout à fait probable que M. d’Estournelles ne s’est pas trompé sur le sens de ces assurances. L’Angleterre lui saurait le plus grand gré de limiter les dépenses militaires navales de la Russie, sans parler des nôtres ; mais c’est peut-être la Russie qui ne voudrait pas. Et, si M. d’Estournelles obtenait par