Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/960

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme on l’a dit, une période nouvelle dans l’histoire du monde ; mais, à coup sûr, il y introduit un symptôme curieux, dont la date mérite d’être retenue.

Pour ce qui est de l’arbitrage international, nous avons eu plus d’une fois l’occasion d’en parler, notamment lorsque la Conférence de La Haye, provoquée par l’empereur de Russie, a fait faire à son organisation un progrès si considérable. On a créé une Cour arbitrale internationale : c’est fort bien, mais il faudrait maintenant lui envoyer des causes à arbitrer. M. d’Estournelles, qui en fait partie, est un peu comme ma sœur Anne : il ne voit rien venir, et cela le désole. Il en conclut qu’il ne suffit pas d’avoir une Cour et qu’il faudrait encore avoir des plaideurs. Comment se les procurer ? Rien de plus simple : il suffit de faire des traités ou des conventions par lesquels les puissances s’engageront, dans certaines circonstances à déterminer, à soumettre leurs différends à des arbitres : et quels arbitres mieux choisis que ceux de La Haye pourraient-elles trouver ? Nous ne demandons pas mieux qu’il en soit ainsi ; seulement les conventions de ce genre sont très difficiles à faire et on s’en apercevra tout de suite quand on attaquera la besogne. Il est vrai qu’on aura la ressource, lorsqu’on les aura faites, de ne s’y soumettre qu’au jour le jour, dans la mesure où on le voudra bien, et nous ne sommes pas sûrs qu’il y ait là un moyen infaillible de fournir de dossiers la Cour de La Haye. Pas plus dans le droit public que dans le droit privé, l’arbitrage ne saurait être rendu obligatoire. On peut seulement en déterminer les conditions et le fonctionnement pour le cas où les parties jugeraient à propos d’y recourir : et encore, dans ce cas, on ne peut pas leur imposer un arbitre de préférence à autre. Si nous poussions plus loin la comparaison avec ce qui se passe dans le droit privé, que verrions-nous ? Nous avons fait chez nous, il y a une dizaine d’années, une loi sur l’arbitrage, qui a précisément pour objet de fournir des arbitres à ceux qui en voudraient et, par une fatalité étrange, ceux mêmes qui en veulent ne veulent à peu près jamais de ceux que la loi leur offre.

Au fond, peu importe, dira peut-être M. d’Estournelles : prenez vos arbitres où vous voudrez, à La Haye ou ailleurs, mais prenez-en ! Il est, en effet, très désirable que cet usage entre dans nos mœurs internationales, non pas tant pour éviter la guerre, comme on le répète volontiers, que pour régler certaines questions d’ordre secondaire, qui ne valent pas la peine qu’on se batte pour elles et dont on est bien aise de se débarrasser ainsi. S’imaginer d’ailleurs qu’un grand pays, ou même un petit, soumettra jamais à un arbitre une