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humainement. On leur a reproché d’avoir dérogé à l’idéal de leur fondateur en se construisant des maisons, et plus encore en lisant des livres, en devenant des théologiens, ou même des savans et des artistes. Mais Le P. Cuthbert nous explique, à ce sujet, que, dans la construction des maisons comme dans la pratique des sciences, les frères, ou du moins ceux des premiers temps, ont su rester fidèles à l’esprit, sinon à La lettre, des instructions du Poverello. Sans doute les frères qui, à Assise, ont édifié la somptueuse basilique du Sagro Convento, sans doute des raisonneurs scolastiques comme Duns Scot ou Occam, se sont gravement départis de la mission que leur avait confiée leur maître saint François ; mais ceux qui ont construit à Assise l’église de la Portioncule, mais ceux qui, comme saint Bonaventure ou comme Roger Bacon, ont simplement cherché la vérité pour la gloire du Christ, ceux-là, quelque différente que paraisse d’abord leur conduite de celle de saint François, n’en ont pas moins accompli la même œuvre, et poursuivi le même idéal. « Au reste, ajoute le P. Cuthbert, si l’on nous demandait à quel signe essentiel se reconnaît et se distingue le véritable esprit franciscain, nous répondrions que ce signe est la simplicité. Partout, dès que manque la simplicité, manque aussi le véritable esprit franciscain ; et, d’autre part, le principe fondamental de la vie franciscaine est de vivre simplement, en toute circonstance. Les circonstances peuvent changer et, avec elles, la conduite à suivre : mais il suffit à un frère de rester simple, d’intention et de fait, pour être fidèle à l’esprit du fondateur de son ordre. »

Cette « simplicité » franciscaine, on la retrouve, en effet, chez les frères anglais dont Thomas d’Eccleston nous raconte la vie : et si naïve, si spontanée, que j’imagine qu’en considération d’elle saint François a dû leur pardonner de s’être parfois écartés d’autres points de sa règle. Avec quelle charmante simplicité, par exemple, le frère William d’Abington, au sortir d’un entretien avec le roi, rapporte à ses compagnons que celui-ci lui a dit : « Frère William, il y avait un temps où tu savais à merveille me parler des choses spirituelles ; à présent, tu ne sais plus que me répéter un seul mot : Donne ! donne ! donne ! » Heureux ces cœurs enfantins dont la vie entière n’était qu’un sourire ! Ils étaient bien tels que les avait souhaités leur maître, pour récolter au nom du Christ, sur ce sol nouveau, « une moisson abondante et belle entre toutes. »


T. De WYZEWA.