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monumentales, aux escaliers, aux terrasses, aux balustres du marbre le plus pur. De ce parc, jusqu’alors inviolé, semble surgir le « Meï Shan » ou Colline de charbon. Cinq pagodes aux formes artistiques en surmontent le sommet ; sur leurs toits, aux courbes gracieuses, flottent les drapeaux des alliés, mariant leurs couleurs et dominant d’une soixantaine de mètres, vers le sud, la longue suite des palais impériaux qui s’étalent majestueusement jusqu’au pied de la colline ; dans les autres directions, les pavillons, pagodes, temples, palais de la ville impériale, jusqu’à ce jour interdite aux étrangers, disséminés dans un fouillis de feuillages du vert pâle au vert le plus sombre ; et, enfin, ces immenses nappes d’une eau figée en quelque sorte dans une superbe immobilité, pointillées de mille et mille nénuphars aux pâles couleurs, « lacs sacrés » souvent visités par les mânes des. ancêtres et par les génies célestes.

Dans le parc, et sur les flancs de la colline, mille tentes sont dressées, transformant cette solitude séculaire en une ruche bourdonnante, en une sorte de campement international où des détachemens de sept grandes Puissances se trouvent comme confondus et qui emprunte à une situation unique et aux légendes dont l’imagination des Célestes se plaît à orner le séjour des demeures impériales, un caractère, à la fois, d’étrangeté incomparable et de mystérieuse grandeur.

C’est là que 4 000 soldats russes et français ont vécu côte à côte pendant plus d’un mois, sans que le moindre nuage soit venu troubler l’harmonie de leurs rapports. C’est de ces massifs de verdure que, le soir de certains jours mémorables, dans le silence des belles nuits de l’Orient, sous la voûte azurée, étincelante de feux, s’élevait, lente et solennelle, vers le Dieu des armées, scandée par des voix mâles, la prière de nos frères d’armes, hommes à la foi robuste et mystique, aux âmes rudes et fortement trempées, et qui, selon leur propre expression, mettent toute leur confiance dans le Très-Haut, dans leurs souverains vénérés, et dans les chefs aimés qui les ont conduits à la victoire. A la prière, écoutée dans le recueillement, — par un religieux respect ou par déférence à l’égard de leurs compagnons d’armes, — par nos soldats, des vétérans, pour la plupart, de nos guerres coloniales, succèdent aussitôt, dans le camp russe, les chants de fête et de triomphe exaltant les courages et l’amour de la patrie lointaine. A leur tour, éclatent les accens joyeux des fanfares