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conscience la théologie morale et l’histoire ecclésiastique ; il se cherche des guides et des amis parmi ses maîtres et ses condisciples. Toutefois, dans ce nouveau milieu, il n’est pas complètement à l’aise et en confiance ; il ne se livre pas avec sa candeur ordinaire ; il se tient sur la réserve. Il avait beau faire, et, chaque fois qu’il se consultait, la réponse était la même : il n’avait pas la vocation. Il se sentait trop différent de ceux qui l’entouraient ; il n’arrivait pas à concevoir que toute sa vie pût appartenir aux idées et aux fonctions pour lesquelles on le préparait. Il était beaucoup trop honnête et d’une honnêteté trop entière pour entrer dans un état qui exige des dispositions si spéciales et dont il avait conscience d’être si éloigné. Et il est trop loyal pour avoir songé à nous abuser ou à se leurrer lui-même sur les causes qui l’ont détourné du sacerdoce. Il n’a pas dramatisé sa vingtième année par le récit de quelque lutte douloureuse avec le doute ; il ne s’est pas persuadé qu’il eût subi les affres d’un tragique déchirement de conscience : il n’a pas eu sa nuit de Jouffroy. Tout uniment il a reculé devant les sacrifices de toute sorte qu’exige la vie sacerdotale. Si modérées qu’aient toujours été ses ambitions, si simples que fussent ses goûts, et bien qu’en aucun temps il n’ait été affamé des jouissances de ce monde, il ne découvrait pas en lui les vertus de l’entier renoncement. Dans ces conditions, son devoir était nettement tracé. Il ne se heurta, pour l’accomplir, à aucune opposition. Quelques-uns des siens avaient bien pu souhaiter pour lui la carrière ecclésiastique, mais ils ne prétendaient pas la lui imposer. L’année finie, il quitta le séminaire pour n’y plus rentrer. Et il débarqua à Paris.

C’était le Paris de 1849, tout enfiévré de la Révolution de la veille, ardent, turbulent, chimérique et bruyant. Quel changement d’atmosphère pour l’échappé du grand séminaire de Montpellier ! Il était arrivé avec quelque vague projet d’étudier la médecine. Le fait est qu’il passait la plus grande partie de son temps à suivre les cours de philosophie, d’histoire et de littérature à la Sorbonne ; il s’abreuvait au large courant de la pensée moderne ; il sentait avec délices l’ivresse lui en monter au cerveau. Il en fut malade et dut aller refaire provision de forces au pays natal. Il s’empressa de regagner au plus tôt ce Paris où il menait une vie difficile, besoigneuse, mais dont l’atmosphère lui était devenue nécessaire pour faire éclore les rêves qui désormais étaient entrés dans son cerveau. Car peu à peu il prenait conscience de la « vocation » qui cette fois était bien la sienne. Il s’était mêlé à la « jeunesse littéraire » d’alors, fort semblable à la jeunesse littéraire de tous les temps. Là chacun, futur grand homme, portait en tête.