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Et les frêles essaims, dont les vibrans murmures
Font éclore une extase au cœur des roses mûres
Et de vols lumineux sillonnent les vergers,
Empliront toute la plaine de bonds légers,
De rumeurs, de reflets, de scènes innocentes ;
Cependant qu’égarés aux méandres des sentes,
Des chœurs de jeunes Dieux, ægypans ou sylvains,
Frapperont l’ample écho d’appels tendrement vains,
Et que de son roseau, dans la brise attiédie,
Un pâtre exhalera l’agreste mélodie.


STANCES


Vieux tilleuls, qui m’avez jadis connu petit,
Me voici près de vous, qu’un souffle obscur balance
Mais, où l’écho longtemps de mes jeux retentit,
Aujourd’hui je passe en silence.

Comme un cerf haletant vient expirer aux lieux
D’où le lança la meute acharnée à l’atteindre,
Mon cœur, que vous avez cru sans doute oublieux
Dans votre ombre a voulu s’éteindre.

Je retourne épuisé, vaincu par les douleurs,
De blessures couvert, déchiré par la vie
Et je sens se mouiller déjà mes yeux de pleurs,
Comme la bête poursuivie.

Me reconnaissez-vous malgré ce front penché,
Ces cheveux grisonnans et cette morne allure
Et cette lèvre, hélas ! qui prit goût au péché,
Dont elle a gardé la brûlure ?

Parlez encore à l’être innocent que je fus,
O tilleuls vénérés de l’antique demeure,
Et faites que, naïf, sous vos arceaux touffus,
Ainsi que je suis né, je meure.

Mon Dieu ! redevenir, avant le grand sommeil.
L’enfant candide et bon, l’âme ingénue et fraîche,
Celui qui contemplait d’un sourire vermeil
Jésus endormi dans sa crèche !