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meure, comme le cœur. La science ne connaît pas le temps, ni les espaces en nombre infini. L’art est un connaisseur très fin de l’âme, de ses temps, et de ses espaces en nombre infini. Le palais de l’artiste repose sur un acte de foi. L’artiste connaît l’éternelle illusion ; et il fait semblant de compter sans elle. Il s’enivre de cette feinte surhumaine ; il construit pour l’éternité des demeures qu’il sait lui-même faites de fumée, et fondées sur le rêve. L’art est tout humain ; et la science est inhumaine.

Voilà en quoi une idée, à moins d’être vivante, n’est pas un objet d’art. Sinon la vie, rien ne nous importe, malheureux que nous sommes. Le premier homme, en quête de Dieu, est un artiste. La recherche de la vie a fait la religion, et non pas la crainte de la mort. Il n’est pas un seul homme qui n’ait besoin de Dieu pour vivre. Et qu’importe s’il est possible de s’en passer aux seuls esprits ? — Mais que m’importe l’esprit ? Je vis de vie, et je suis affamé d’être. La séduction de l’esprit est l’attrait irrésistible qui me pousse à ma perte. Que j’y aille donc, puisque je ne puis faire autrement ; mais qu’à tout le moins je n’ignore pas où je me précipite ; que je ne me vante pas de courir à une vie plus ample ou plus vraie, quand je descends au contraire la pente du désespoir, et d’une mort très profonde.

À moins de la religion, il n’y a que l’art seul qui permette de vivre. Je parle pour ceux qui ont un cœur vivant ; non pas pour ces estomacs faciles, qui se nourrissent de papier et s’engraissent de formules. Quel artiste désormais ne se verra point enfermé dans la souffrance, comme dans une cellule, au centre de l’univers ?

Je souffre, donc je suis : tel est le principe de l’artiste. La vie et la douleur sont les deux termes de l’être. Toutes mes idées sont vivantes et passionnées ; en elles, c’est la douleur qui met la marque. Si elles ne sont désespérées, et chaudes comme la vie même, que me font les idées ? — L’homme qui vit avec force n’a que faire des idées mortes, ce gibier de savant.


Façons d’être. — Le Nord vaut peut-être mieux pour la morale. Mais le Midi vaut mieux pour la vie.

C’est dans le Nord que l’art est un œuf d’aigle couvé par des canes. La Réforme a décidément assis la morale dans le trône du souverain. Il est curieux que, pour mieux repousser l’autorité du pontife romain, les peuples du Nord se soient soumis à une