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Rhétorique du Nord. — Il y a quelquefois dans Ibsen un rhéteur, qu’on s’étonne d’y voir.

Par tout le Nord, il règne une rhétorique d’esprit, qui répond à la rhétorique de mots en faveur au Midi. Celle-ci se moque de celle-là ; mais l’une vaut bien l’autre. On est rhéteur d’idées comme on est rhéteur de phrases ; comme on bâtit sur de grands mots vides, on fait sur de hautes pensées ; mais la fabrique, ici et là, n’est pas moins vaine. Les personnages d’Ibsen s’enivrent de principes, comme ceux de Hugo d’antithèses. Si Ibsen n’était pas un grand peintre de portraits, il semblerait bien faux ; on ne croirait pas à la vérité de la peinture, si l’on n’y sentait la vie des modèles. Les rhéteurs de morale sont les pires de tous ; car ils sont crus. C’est pourquoi la sincérité dont le Nord se vante est souvent si fausse. Là-haut, ils se font un intérêt de l’intelligence ou de la morale, et c’est ce qu’ils appellent l’idéal. Ces hommes et ces femmes, à tout propos, revendiquent le droit de vivre, d’être libre, de savoir et d’agir : c’est, dans l’ordre de l’intelligence, la même rhétorique que celle des démagogues dans l’ordre de la politique. Au soleil, ces révoltes de la neige passent pour ridicules et sans raison. Et, sous la neige, c’est l’éloquence du soleil qui passe pour inféconde et très creuse. Il faut toujours qu’un bord du monde tourne le dos à l’autre, pour se croire seul du bon côté, et qu’une partie de la terre se rie de l’autre partie, pour se prendre elle-même au sérieux. Chacun s’estime davantage de ce qu’il mésestime.

L’abus de la conscience et du libre esprit n’est qu’une rhétorique. Toute éloquence qui se prend elle-même pour une fin n’a ni force ni preuve.

La vie n’a pas plus de temps à perdre aux bons mots qui ne finissent pas, qu’aux actes désordonnés d’une conscience qui