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accablait ses adversaires et à tirer par-là le maximum d’effet utile de ses mouvemens enveloppans[1].

Et l’amiral Ting s’était bénévolement prêté aux desseins de son antagoniste en adoptant un ordre compact, la ligne de front à faibles intervalles, bientôt rompue, à la vérité, par les incidens de la lutte, mais sans qu’à aucun moment les Chinois aient paru comprendre que c’était par leurs groupemens serrés, quelles qu’en fussent les formes géométriques, qu’ils favorisaient le jeu des Japonais.

En somme, s’il serait excessif de prétendre qu’au Yalou, l’ordre dispersé fut vainqueur de l’ordre compact, du moins peut-on dire qu’à l’inverse de ce qui s’était passé à Lissa, une ligne mince, étendue, à chaînons espacés, s’était montrée parfaitement adaptée aux facultés caractéristiques des armes nouvelles et avait largement contribué à leur assurer le succès.

Mais ce résultat ne pouvait être acquis et la supériorité d’artillerie moyenne à tir rapide ne devait être complètement utilisée qu’à deux conditions : supériorité de vitesse, supériorité de force morale.

Supériorité de vitesse, et très sensible, d’une part, parce qu’il fallait prendre successivement une série de positions enveloppantes ; par conséquent, faire, dans le même temps, beaucoup plus de chemin que l’adversaire ; de l’autre, parce qu’il était intéressant de maintenir la distance favorable à la mise en jeu des pièces de 120 millimètres à tir rapide. De fait, mieux entretenus, mieux desservis, les appareils moteurs des Japonais donnaient, en moyenne, trois nœuds de plus que ceux des Chinois…

Supériorité de force morale, parce qu’une telle méthode, justement en ce qu’elle dissocie dans une certaine mesure les élémens constitutifs de l’escadre et la décompose en autant d’unités tactiques qu’elle a d’unités de combat, exige que chacune de celles-ci acquière une initiative plus étendue, un jeu plus indépendant de celui du bâtiment du commandant en chef, et par conséquent une conscience plus haute de sa valeur individuelle en même temps que de sa responsabilité militaire.

  1. Il existe des « instantanés » du combat pris par les officiers d’un croiseur japonais que son rôle mettait un peu en dehors du fort de l’action. On y voit très bien les bâtimens de l’amiral séparés par de grands intervalles, tandis que ceux de l’amiral Ting semblent faire bloc. A la vérité, il faut tenir compte de la perspective spéciale de la photographie.