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de celles-là correspond inévitablement une augmentation de la moyenne de celles-ci.

Dès lors, augmentation du déplacement, de la longueur, de la vitesse, tout concourait à rendre les évolutions sinon plus difficiles, du moins plus délicates et plus dangereuses par leurs conséquences, en cas de collision. Mais il y avait plus encore : l’accroissement de la liberté de mouvemens, des facultés giratoires, que procurait l’emploi d’un moteur indépendant des circonstances extérieures, ayant fait naître l’idée d’utiliser le navire comme bélier, le cuirassé avait été pourvu soit d’une étrave tranchante, constituée par les plaques de blindage taillées en biseau, soit d’un éperon en acier massif, saillant de plusieurs mètres. De là, tandis qu’autrefois un abordage de vaisseaux en bois n’entraînait généralement pas de graves conséquences, ne mettant en contact que des surfaces pleines, arrondies et des matériaux doués d’une grande élasticité, une collision de cuirassés devenait mortelle à l’un d’eux, celui dont la coque métallique rigide était rompue par l’avant en fer ou trouée par l’éperon. Après la perte du Re d’Italia, à Lissa, on enregistrait les catastrophes du Grosser Kurfürst dans la Manche, de la Thétis aux îles d’Hyères, de la Victoria, près de Tripoli de Syrie.

On aurait pu croire que la crainte d’accidens aussi terribles inclinerait les chefs d’escadre à une grande prudence et ferait naître une tactique appropriée, où toutes précautions eussent été prises pour que, dans les déplacemens relatifs d’unités de combat exigés par l’exécution d’une manœuvre, les intervalles et les distances[1] restassent toujours largement suffisans. Il n’en fut rien. Au contraire, on vit des amiraux user du droit qui leur était concédé par la « tactique » officielle de réduire les distances normales et de faire évoluer leur escadre à rangs serrés. On passait ainsi assez souvent de 400 mètres à 200 mètres et quelquefois à 100 mètres[2].

Il y avait naturellement des raisons pour cela, et même de bonnes raisons, à la vérité fort complexes.

  1. L’intervalle est la distance qui sépare deux bâtimens ou deux colonnes parallèles dans une ligne ou dans un ordre de front. Le mot de distance s’applique plus particulièrement a celle que laissent entre elles les unités dans la ligne de file.
  2. On cite l’amiral Jauréguiberry comme ayant fait tenir, il y a quelque vingt-cinq ans, une ligne de file à 100 mètres, c’est-à-dire beaupré sur poupe, ou, pour parler plus exactement, éperon sur gouvernail. Cela fut très admiré.