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Henri V. Bonaparte allait établir aux points de débarquement de formidables barricades.

« Cette guerre, disait-il au ministre d’Autriche[1], Philippe Cobenzl, entraînera nécessairement après elle une guerre sur le continent ; pour ce cas, je devrai avoir de mon côté l’Autriche ou la Prusse ; il me sera toujours plus facile de gagner la Prusse en lui donnant un os à ronger ; je n’ai en Europe que l’Autriche à redouter… La Russie restera toujours inactive… Il ne viendra plus un Paul qui fasse la folie d’envoyer jusqu’au Piémont des troupes. »

En quoi il se trompait. L’ambassadeur du tsar à Paris, Mar-kof, fut rappelé le 28 octobre 1803, et il n’y eut plus en France qu’un chargé d’affaires, M. d’Oubril. Dix jours auparavant, le chancelier Woronzof mandait à l’envoyé russe à Vienne, Anstett, « d’entrer en pourparlers avec le gouvernement autrichien sur les mesures à prendre, de concert avec la Russie, contre l’ennemi commun. » Et à Simon Woronzof, à Londres, le 9 novembre : « Le danger que la France fait courir à toute l’Europe rend plus forte encore l’amitié qui unit la Russie à l’Angleterre. » Un agent de Talleyrand lui mande, de Pétersbourg, 8 novembre : « L’empereur lève deux hommes sur cinq cents. »

Bonaparte, dit Anstett à Louis Cobenzl, ministre des Affaires étrangères à Vienne, ne peut s’arrêter sur la pente où il s’emporte ; la force des choses l’oblige à avancer jusqu’à ce qu’il rencontre un obstacle insurmontable. La Russie offre de mettre sur pied 90 000 hommes, suivis d’une réserve de 80000. Il n’oublia point l’article essentiel, les dédommagemens ; il les offrit aux dépens des républiques d’Italie ; le roi de Sardaigne redeviendrait « le gardien des Alpes[2]. » Les Autrichiens, cependant, demandèrent à réfléchir. « Tous ces pays, sans doute, sont fatigués du joug français, disait Louis Cobenzl ; mais il faut que la musique soit commencée avant de les mettre en danse… » « Nous sommes à la bouche du canon ; nous serons anéantis avant que vous puissiez nous secourir[3]. » Néanmoins, ils se préparaient : au commencement de 1804, ils auraient 385 000 hommes ; mais, à la moindre menace de Bonaparte, les recrues se disperseront, sauf à se rassembler aussitôt ailleurs. Pour la Prusse, on lui

  1. Rapport de Cobenzl, 1er juin 1803.
  2. Woronzof à Anstett, 30 décembre 1803 ; note du 1er janvier 1804.
  3. Rapport d’Anstett, 16 novembre 1803 ; de Rasoumowsky, 22 mars 1804