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populaire en Russie que l’autre, celle de la paix et des réformes, l’est peu. « Nous sommes aujourd’hui tout à la guerre, écrit Kotchoubey, dès le mois d’avril 1803, et l’empereur y paraît tellement porté qu’il serait, je crois, fâché qu’elle n’eût pas lieu. Le mouvement guerrier peut produire un grand bien, celui de faire voir que l’empereur a plus d’énergie qu’on ne lui en suppose et que M. Duroc ne lui en attribue. » Les Russes font d’ailleurs bon marché de Bonaparte, de ses généraux et de ses grenadiers. S’il avait rencontré Souvorof, il était perdu. Joubert était plus fort que lui. « Il tire, écrit Simon Woronzof, toute sa gloire militaire et politique de l’absurde politique et trahison des cours de Berlin et de Vienne, de la stupidité mêlée de trahison des généraux autrichiens qu’il a eus à combattre… Quand on lui a montré de la fermeté, comme à Saint-Jean-d’Acre, il a échoué contre une poignée de monde qui défendait une misérable bicoque… Avec toutes les qualités d’un vrai scélérat, qu’il possède en perfection, il finira mal, faute de bon sens. » Et, lui disparu, rien ne subsistera de la France, de la révolution, de la république., « L’armée française, où règne une abominable corruption de mœurs, est une armée d’assassins et d’incendiaires, dont les soldats sont si peu braves que, quand les généraux voient qu’il faut combattre un ennemi résolu à outrance, ils les enivrent. »

C’est alors qu’arrivèrent les propositions des Anglais. S’ils redoutaient « l’injuste spoliation » de l’empire ottoman en Égypte, en Syrie, Alexandre la redoutait en Grèce, en Albanie, sur le Danube. Il voyait l’empire d’Allemagne réduit à la vassalité française, comme une autre Italie. La France devenait à ses yeux la « puissance monstrueuse, » — c’est un mot de Woronzof, — qu’était la maison d’Autriche aux yeux des Français du XVIIe et du XVIIIe siècle. Il était, en principe, résolu à la guerre ; mais il ne se sentait pas en mesure, et il lui fallait gagner le temps de rassembler ses armées et de nouer une coalition. Il proposa à l’Angleterre une « alliance sans traités, » propre à se transformer, l’heure venue, en « traité de subsides. » Il offrit, en attendant que l’heure vînt, une médiation qui se transformerait en intervention militaire lorsqu’on serait en armes. Puis il s’occupa d’entraîner le continent, et se tourna vers la Prusse.

La Prusse avait garanti à la France la neutralité de l’Allemagne du Nord, et la France, pour la récompenser, l’avait comblée d’abbayes et d’évêchés en Westphalie, compensation