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Toutefois il fallait aboutir.

Ne pouvant décidément procurer à Julie une place à la cour, Mirabeau lui envoya des billets de théâtre pour elle, pour madame sa mère et pour Lafage.

Et il emprunta vingt-cinq louis à M. Dauvers.


IV

C’est ici que se rejoignent les deux romans et que se nouent les fils de la double intrigue.

Depuis qu’il était sorti de prison, Mirabeau leurrait Sophie de l’espoir d’une visite à son couvent de Gien. La topographie des lieux était minutieusement étudiée, l’itinéraire fixé, les escarpins de feutre pour étouffer les pas du visiteur nocturne confectionnés, l’armoire aménagée en vue d’un séjour, les provisions de bouche suffisantes pour nourrir la compagnie de dragons du comte, en cas qu’il eût fantaisie de s’en faire accompagner ; mais, au dernier moment, il survenait toujours quelque incident qui forçait à ajourner le départ. Il était à prévoir que, d’ajournement en ajournement, le voyage projeté n’aurait jamais lieu qu’au pays des rêves, à moins toutefois d’une conjoncture d’une gravité exceptionnelle. Cette conjoncture se produisit sous les espèces de la créance Dauvers. Mirabeau avait signé un billet à échéance pour le 15 mai. Le billet restant impayé, Dauvers n’hésita pas à le porter à la connétablie. D’ailleurs, mis en possession de la correspondance du comte avec sa fille, il menaçait de la livrer aux maréchaux. Mirabeau n’avait d’autre moyen d’échapper à la prison ou à l’exil perpétuel qu’une soudaine disparition. Le manque de ressources ne lui permettait pas de passer à l’étranger, et « il n’y avait pas un pouce de terre française où il ne pût être appréhendé. » Mais il y avait un endroit où il était bien sûr qu’on n’irait pas le chercher : c’était l’armoire de Sophie de Monnier, au couvent des Saintes-Claires de Gien. C’est alors qu’il fait savoir à Sophie qu’il ne peut pas résister plus longtemps au désir de la revoir. Tel est le secret de cette suprême entrevue où Gabriel cherchera, dans les bras de Sophie, un asile contre la poursuite de ses créanciers.

L’abandon, l’injure suprême, la rupture, c’est le dénouement ordinaire ; le prestigieux roman des amours de Sophie et de Mirabeau se perd dans la platitude des fins de liaisons les plus