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demanda : « Qui sera notre poète, maintenant ? » On lui fit d’admirables et touchantes funérailles.

Un siècle après, aux fêtes du Centenaire, les discours de lord Rosebery précisèrent le sentiment de l’Ecosse et la gloire impérissable de Burns. Comme ils sont loin des pauvretés officielles et ressemblent peu à ces harangues vides, laborieusement adaptées du dehors à la circonstance par un « délégué » qui accomplit une corvée ou un devoir sans que nul lien profond ne l’unisse à la grandeur qu’il loue ! Non seulement lord Rosebery évoque L’homme dans le décor de Dumfries où s’acheva sa destinée tragique ; non seulement il esquisse en traits larges et sûrs le génie du poète devant les auditeurs de Glasgow ; mais, avant tout et par-dessus tout, ici et là, c’est le représentant de l’Ecosse qui salue un illustre Écossais, ou plutôt les deux personnalités s’effacent et laissent transparaître l’âme même de la patrie écossaise, qui se reconnaît et prend conscience, dans le lord d’aujourd’hui, de tout ce qu’elle doit au jeune paysan de Mossgiel, au jaugeur de Dumfries. « L’humanité tout entière lui est redevable. Mais l’Ecosse a une dette spéciale envers lui. Burns a exalté notre race ; il a consacré l’Ecosse et la langue écossaise. Avant lui, nous venions de traverser une longue période où nous étions à peine reconnus ; nous étions sortis de la mémoire du monde. Depuis le temps de l’Union des couronnes, et plus encore depuis le temps de l’Union législative, l’Ecosse était tombée dans l’obscurité. Si l’on en excepte le hasard d’un complot ou d’un soulèvement jacobite, son existence était presque oubliée. Elle avait, il est vrai, ses Robertson et ses Hume, qui écrivaient l’histoire à l’admiration de tous, mais rien dans leurs ouvrages ne trahissait des auteurs écossais. C’est alors que Burns apparaît, se dresse sur ses pieds et revendique les prétentions de l’Ecosse à une existence nationale[1]… »

Là est le secret de cette gloire exceptionnelle. Là surtout est le secret de cet incomparable génie. L’Ecosse n’est plus qu’une nation idéale ; toute sa réalité est dans son passé, qu’elle honore avec ferveur, et dans sa vie spirituelle, qu’exprime le génie de quelques hommes : John Knox, Walter Scott et surtout Robert Burns. C’est pourquoi elle leur prodigue si libéralement son admiration et son amour. En aucun autre pays peut-être, l’expression

  1. Lord Rosebery, Discours de Glasgow.