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Durant ces années de misère, de déchéance et de ruine, le génie de Burns s’est transformé. L’inspiration du poète ne pouvait plus sortir, comme à Mossgiel, des choses environnantes, car il n’avait plus en lui la force idéale qui les pénètre, ni de sa propre vie, qui retombait sur elle-même, lasse, stérile et vaincue. Le moment était grave. Les quelques pièces d’un sentiment historique et national que nous avons rattachées aux impressions d’Edimbourg et des voyages dans les Borders ou les Highlands, ni surtout les poèmes où, moins heureusement, il imitait les poètes anglais, n’auraient pas suffi à donner un pendant au merveilleux volume de Kilmarnock, à exprimer tout ce qu’il y avait encore de poésie profonde et pure dans cette âme troublée. Mais la destinée poétique de Burns n’était pas à son terme. Au moment où ce génie si sincère semble avoir perdu le pouvoir de traduire en poèmes la vie personnelle, locale, il trouve en lui l’écho d’une vérité plus lointaine qui revient chanter sur ses lèvres. On se rappelle avec quelle passion et quelle assiduité Burns avait lu, relu, étudié les vieilles chansons. Elles lui offraient l’essence même des pensées et des sentimens de sa race, déposée et conservée dans des formes qu’une longue tradition avait adaptées à leur office. L’idée de travailler sur ce riche fonds, à la fois si national et si humain, de reprendre cette matière déjà si souvent remaniée et de lui donner son achèvement suprême, cette idée, qui se fût peut-être imposée à Burns sans aucune sollicitation extérieure, devint vite pour son esprit, où la déposèrent les circonstances, la force directrice. Dès 1787, pendant l’hiver d’Edimbourg, un graveur, James Johnson, avait demandé la collaboration de Burns pour un recueil de chansons écossaises qu’il se proposait de publier avec la musique[1]. Au mois de septembre 1792, Thomson[2] lui fait une proposition analogue. Durant les sept dernières années de sa vie, 1789-1796, Burns ne se désintéressa pas un instant de cette tâche, actif à rechercher les vieilles chansons, à les retoucher, les compléter ou les récrire. Il en donna ainsi aux deux recueils près de 250[3], qui représentent une belle moitié de son génie et forment un des plus riches trésors lyriques de la littérature. Ces petites pièces sont pour la plupart des remaniemens. Tous les chanteurs connus ou inconnus qui

  1. Johnson’s Musical Museum, 1787-1803.
  2. Thomson’s Scottish Airs, 1793-1818.
  3. Exactement 246 dans la Centenary Edition de MM. Henley et Henderson.