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arrêté qu’on en retrancherait tout ce qui pouvait manifester la Compagnie de France ; qu’on les traduirait en latin, afin qu’on ne pût soupçonner que l’idée en venait de Paris ; » on lit mieux : « on dressa ces statuts en sorte qu’ils ne parussent que comme le projet d’une Compagnie à former, et non comme les statuts d’une Compagnie déjà formée. »

En outre, la Compagnie de Paris, s’autorisant non seulement de sa qualité de « Mère, » mais de ses fonctions de « patronne » et de chargée d’affaires de toutes les Compagnies de province, en profitait pour diriger la conduite de ses « filles, » restées ses clientes et ses obligées. Maintes fois elle morigène les indiscrètes qui commettaient des imprudences propres à les « manifester ; » — qui (à Marseille, par exemple) laissaient voir trop aisément leurs statuts et leurs règlemens. — Elle leur rappelle qu’elles n’en pouvaient « donner aucune communication, même à MM. les évêques ou à MM. les gouverneurs qui auraient dévotion de former de semblables Compagnies, sans l’avis et le consentement de celle de Paris. » Surtout elle réprimande les groupes nouveaux qui (comme à Marseille encore, ou à Caen) prétendaient communiquer les uns avec les autres, sans passer par la a source. » À cette prétention, la Compagnie de Paris résista longtemps d’une manière absolue. Il fallut des sollicitations réitérées pour obtenir d’elle qu’au moins certaines succursales, situées aux extrémités du royaume, eussent la faculté d’entretenir correspondance avec leur voisine : Bordeaux avec Limoges, Nîmes et Marseille avec Avignon. Ce ne fut qu’à regret, en tremblant, que Paris permit ces rapports directs, et en stipulant bien « qu’il ne serait jamais accordé aux Compagnies de correspondance générale, mais seulement en particulier, de Compagnie à Compagnie[1]. »

Dans cette résistance, y avait-il de l’amour-propre, un désir de primauté reconnue et de suprématie maintenue ? Il y avait aussi la crainte (et fort juste, comme l’expérience le prouva[2]) que ces correspondances multiples et ces relations de voisinage ne décelassent beaucoup trop l’entente commune, et ne rendissent inutiles les précautions infinies que la Compagnie apportait dans l’exercice de son activité.

Ses décisions elles-mêmes avaient encore des dessous, si l’on peut dire, ultra-secrets. Une partie des motifs qui les avaient

  1. D’Argenson, p. 257.
  2. D’Argenson, p. 49-50.