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chaud avec de l’ale. La perte de temps et le gaspillage de nourriture atteignaient bien vite vingt livres par an[1]. »

Burns se persuada alors qu’une petite place dans l’Excise (ou Régie) lui donnerait plus de sécurité et de loisir. Ses amis de Mauchline y avaient déjà pensé après la publication de ses poèmes, et lui-même, à son retour définitif d’Edimbourg, au moment de son mariage, quand il ne savait pas encore s’il trouverait une ferme, s’était arrêté à cette idée et avait rempli les formalités. Lorsqu’il vit ses premières moissons, il conçut des craintes et demanda un emploi. L’année suivante, il est nommé, comme il le souhaitait, sur place. Cette situation lui parut d’abord un simple appoint à sa vie de fermier, qu’il espérait pouvoir continuer. Déjà, pourtant, l’accepter était un sacrifice. Robert Burns ne pouvait se voir avec plaisir petit employé de la Régie. Son nouveau métier s’entourait plutôt de défaveur ; et, pour un homme comme lui, indulgent à toutes les faiblesses, sociable à l’excès et habitué au bon accueil, il devenait plus particulièrement pénible. Par inclination, le poète des Joyeux Mendians eût mieux aimé peut-être se trouver du côté des contrebandiers que de celui des gabelous. En acceptant cet emploi, Burns songeait à ses devoirs. Il savait bien que le passé engageait l’avenir et courageusement il s’efforçait de ne point faiblir devant les tristesses et les fautes dont il avait encombré sa voie à jamais douloureuse. Son cœur s’éleva dans cet effort et, plus haut que la vie présente, rencontra un souvenir qui lui entr’ouvrit le ciel. Vers le milieu d’octobre, un soir de moisson, plus de tristesse encore que de coutume descendit sur son âme avec le crépuscule. Il sortit dans la cour de sa ferme, où il commença d’errer, absorbé par ses pensées. Sa femme l’y rejoignit bientôt et lui conseilla de rentrer, car la nuit d’automne devenait glacée sous les étoiles scintillantes. Le poète s’attarda de longues heures. Quand Mrs Burns, inquiète, revint vers lui, il était étendu sur un tas de paille, fixant du regard une belle planète « qui brillait comme une autre lune. » Enfin il rentra ; mais, au lieu de se coucher, il prit sa plume et écrivit d’un trait cette admirable pièce, A Mary dans le Ciel, où passe un cri de passion et d’espérance :

« O Mary, chère ombre disparue ! Où est ta place de repos

  1. Lockhart. Life of Burns, d’après une lettre d’Allan Cuningham. (Voyez Angellier, t. I, p. 408.)