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la fille du forgeron qui avait prêté à Burns la Vie de Wallace. Les deux enfans travaillaient côte à côte et se reposaient parfois, plus rapprochés encore. Une joie qu’ils n’auraient su nommer et qui était peut-être éparse dans le soleil d’été étourdissait leurs âmes. Robert tenait la main de Nelly pour en ôter les barbes des épis ; et l’invisible amour murmurait des paroles qui s’envolaient déjà dans la musique d’un chant :


O once I loved a bonie lass[1]


Ce fut le signal d’une confuse explosion de vie qui le tourmente, l’agite et veut se frayer un passage. Il y a dès lors une sorte de revendication, quelque chose qui ressemble à la colère d’une énergie captive, dans les ardeurs et les violences de ce jeune paysan. Ses paroles et ses actes trahissent par un frémissement qu’ils sont chargés d’une énergie de bataille. Il va à une école de danse, en dépit des ordres de son père, s’affranchissant ainsi de la seule autorité qui barrât la route à sa fougue impulsive. Cette même année, il saisit l’occasion de s’éloigner du foyer paternel et s’installe une partie de l’été à Kirkoswald pour y étudier le levé des plans et l’arpentage. Là, il se mêle à une assez méchante compagnie, comme la contrebande en réunissait dans tous ces petits ports de la côte, et tombe amoureux d’une jeune voisine qui met à l’envers sa trigonométrie et lui inspire une nouvelle chanson. Une sorte d’inquiétude qu’il ne saurait définir, un désir à peine conscient, où il reconnaîtra plus tard le premier éveil de l’ambition littéraire, lui semblent « les tâtonnemens aveugles du cyclope d’Homère autour des murailles de sa caverne. »


C’est dans ces dispositions qu’il arrivait à Lochlea. Les quatre premières années y furent moins dures et la famille goûta la douceur d’une trêve. Robert s’y épanouit dans une atmosphère joyeuse et légère. Il travaille dur à la ferme ; mais un rayonnement de gaîté, d’éloquence, de fantaisie allège son labeur et le transfigure. Une sorte de magie émane de sa jeunesse et défie les circonstances de l’accabler. Qu’importe la pauvre existence, les occupations misérables du garçon de ferme, nettoyer l’étable et

  1. « J’aimais jadis une jolie fillette. » Centenary Edition, t. III, p. 197 et 442.