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est la propre voix, mieux rythmée et plus claire. Presque tout le charme s’en évapore dans une autre langue, sous un autre ciel. Mais partout la figure de Burns, la nature de son génie, sa place dans la littérature de sa nation et de son siècle, gardent leur double intérêt humain et poétique. C’est ce double intérêt que nous voudrions mettre en lumière d’après deux récens travaux dont chacun semble définitif en son genre : le beau livre de M. Auguste Angellier, Robert Burns, la Vie, les Œuvres ; et la grande édition critique des Poésies, publiée à l’occasion du Centenaire, par MM. Henley et Henderson[1].


I

Vers la fin du XVIIIe siècle, l’Écosse ouvrait sa pensée et prodiguait en tous sens des richesses intellectuelles qu’on ne lui soupçonnait pas. Elle venait de perdre son dernier reste d’indépendance ; après l’union des deux couronnes, celle des deux parlemens consommait la disparition du vieux royaume. Le calme enfin trouvé favorisait le développement intellectuel, comme si l’activité de la race, ne pouvant plus se dépenser en équipées politiques et en orages intérieurs, se tournait vers les spéculations de la philosophie et de la science. Le vieil Edimbourg gothique, dont chaque édifice évoque une légende et dont chaque pavé pourrait montrer une tache de sang, l’Edimbourg des fureurs féodales et des guerres religieuses, le sombre Edimbourg enfumé, Auld Reekie, devient un foyer de lumière, « la moderne Athènes. » Glasgow, Aberdeen, sont des centres de culture où s’élabore une doctrine très humaine et très libérale. L’Écosse a cessé d’agir ; elle pense, avec les plus savantes nations, par elles, et sensiblement comme elles, sans que, dans ce brillant cosmopolitisme intellectuel de l’Europe, ses David Hume, ses Robertson, ses Dugald Stewart, ses Adam Smith le cèdent en rien aux meilleures têtes du reste du monde.

Mais, plus bas que cet essor de vie impersonnelle, plus près de terre, une autre vie continuait, locale, nationale, riche de l’instinct et du génie de la race. Au-dessous de cette Écosse des Universités, il y en avait une autre, l’Écosse des vieilles chansons

  1. Auguste Angellier : Robert Burns, I. la Vie, II. les Œuvres. Paris, 1893. — The Poetry of Robert Burns, Edited by William Ernest Henley and Thomas F. Henderson. Edinburgh, 1896-97 (Centenary Edition).