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Il est de toute évidence que, dans un pays aussi récemment soumis que le Sud de Madagascar et où, sur certains points, la situation acquise est si peu affermie, il est indispensable de conserver une organisation militaire assez solide pour parer à tout imprévu. Il est non moins indispensable de recourir aux chefs indigènes pour administrer le pays en notre nom, en les faisant surveiller et contrôler, bien entendu, par un des nôtres, militaire ou civil. L’application de la formule absolue de l’annexion est une conception fausse et la formule à appliquer est celle du protectorat intérieur, qu’on a si bien définie : « L’art d’administrer les indigènes par l’intermédiaire de leurs chefs naturels. » C’est bien là l’idée fondamentale qui a toujours guidé le général Gallieni et dont il s’est inspiré en posant le principe de la politique des races. Il l’a rappelé en toute occasion et récemment encore dans ses instructions générales du 26 février 1902. « Il semblerait donc que, sous un tel chef, rien ne fût plus facile que de l’appliquer, mais il est une chose, malheureusement, contre laquelle aucune bonne volonté ne peut prévaloir : ce sont nos institutions, c’est ce dogme rigide qui exige, aussitôt qu’une terre est déclarée terre française, que tout l’arsenal de nos lois, de nos règlemens administratifs, de notre justice, de notre comptabilité y soit transporté.

« Il ne m’appartient pas de discuter ici les mérites respectifs des deux systèmes du protectorat et de l’annexion. Bien que toutes mes préférences aillent au premier, si souple, si économique et si fécond, je reconnais néanmoins qu’il est des cas où les nécessités internationales imposent l’annexion. Mais, parce que l’obligation d’être le maître chez soi force parfois à remplir cette formalité, faut-il ipso facto qu’elle ait, comme dernier aboutissement, la création de nouveaux départemens ? Notre constitution, notre législation sont-elles assez intangibles pour ne pas permettre de concevoir un système où, sous le drapeau français, des possessions aussi nombreuses et aussi diverses, et, dans chaque possession, des régions aussi profondément séparées les unes des autres que celles que nous venons de parcourir, recevraient chacune la formule qui convient à son état social ? Peut-on prétendre enfermer dans le même moule (et quel moule rigide ! ) l’homme des cavernes, le compagnon d’Ulysse, le chef féodal et le lettré hova pourvu de son brevet scolaire[1] ? »

  1. Colonel Lyautey, Dans le Sud de Madagascar, p. 381-382.