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nouveaux principes, peut consister, au rebours des idées généralement admises, dans le fait de ne pas user de ses forces, de retenir ses hommes, d’éviter une action. « Chargé, il y a un an, de soumettre une région sakalave insurgée, le commandant d’infanterie de marine Ditte, — raconte le colonel Lyautey, — s’était fait une loi absolue d’épargner, de pacifier, de ramener celle population. Je le revois encore abordant un village hostile, et, malgré les coups de fusil de l’ennemi, déployant toute son autorité à empocher qu’un seul coup ne partît de nos rangs, et y réussissant, ce qui, avec les tirailleurs sénégalais, n’était pas facile. Je le revois, lui et ses officiers, en avant, à petite portée de la lisière des jardins, la poitrine aux balles, et, avec ses émissaires et ses interprètes, multipliant les appels et les encouragemens. Et, comme cet officier était aussi un très bon et très habile militaire et qu’il avait pris d’heureuses dispositions, menaçant les communications, rendant difficile l’évacuation des troupeaux, il réussit, après des heures de la plus périlleuse palabre, à obtenir qu’un Sakalave se décidât à sortir des abris et à entrer en pourparlers. Et ce fut la joie aux yeux que, le soir venu, il me présenta le village réoccupé en fête, les habitans fraternisant avec notre bivouac, à l’abri du drapeau tricolore, emblème de la paix. » Voilà le type de l’action d’éclat, du fait de guerre selon le nouveau système. M. Lavisse en a dégagé la philosophie dans quelques lignes d’une grande portée. « Ce système, dit-il, fait appel surtout aux forces morales du soldat et de l’officier, à la patience, à l’énergie, à l’intelligence, à la bonne humeur ; en cela, il est bien français. Il suppose un chef assez sûr et conscient de son courage et de son autorité pour n’avoir pas besoin de faire montre de sa bravoure, pour n’avoir pas de plaisir à limiter l’initiative de ses subordonnés : le système en cela est moderne. Il suppose chez les subordonnés une notion du devoir, une compréhension et un respect de l’intérêt commun, une soumission raisonnée de l’individu au bien général et à l’utilité commune, qui en font quelque chose de vraiment démocratique. »

Cet appel à l’intelligence et à l’initiative de ses subordonnés, le général Gallieni en donne l’exemple dans ses rapports avec ses officiers. Dans les instructions et les circulaires qu’il leur adresse, souvent il ne leur donne pas d’ordres ; il leur explique sa pensée, leur expose ses principes et leur trace les grandes