Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/506

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XVIIIe siècle ont laissé l’Europe fatiguée de désastres, tremblante de convulsions. » Et il continue, tout de suite : « Le siècle qui marche à sa fin ne pourrait-il pas, en retour, transmettre comme un héritage au genre humain quelques gages de concorde et l’espérance des grands bienfaits que promet l’unité de la foi chrétienne ? » Ne manquait-il pas quelque chose à l’achèvement de sa pensée ? N’eût-il pas aimé proposer à ces princes et à ces peuples, auxquels sa lettre s’adressait, ses bons offices de pape pacificateur, invoqués dans l’affaire des Carolines par le chancelier de Bismarck ? Il s’en abstenait, sachant qu’il y a des instans où l’on risque de mettre les armées en branle en parlant de désarmement ; mais, lorsque la jalousie d’un pouvoir voisin exclura du congrès de La Haye le représentant du Pape, l’éclat même de cette absence sera plus remarqué du monde que ne l’eût été la présence, en cet aréopage de très bonne volonté, d’une soutane violette tranchant sur les habits noirs. Malgré cette lacune volontaire de la lettre Præclara, l’on peut dire que jamais, depuis le moyen âge, la grandiose idée de la chrétienté ne s’était épanouie avec cette douceur insinuante et cette fermeté conquérante. Aussi bien sur les lèvres de Léon XIII que sous sa plume, ces mots d’ « union, » de « réunion, » prenaient un accent particulièrement persuasif : il savait gré à notre Bossuet de les avoir jadis prononcés. Un rêve est très puissant lorsqu’il s’appuie sur une foi et lorsque cette foi en promet le succès. Léon XIII développait son rêve d’union des Églises avec une abondance qui émouvait, avec une sécurité qui convainquait. C’est une grande force de parler d’union, lorsqu’on plane, et que, sous ses pieds, on n’a que division…

Les « malheurs des temps, » comme disent volontiers les vieux prêtres découragés, réservaient à Léon XIII une autre cause d’ascendant. Le XIXe siècle avait eu la main lourde à l’endroit des trônes, soit qu’il les rendît boiteux en transformant en monarchies constitutionnelles les monarchies absolues, soit qu’il les fît s’effondrer. Il avait persuadé aux peuples que tous les pouvoirs civils devaient avoir leurs racines en bas. Au-dessus de ces nivellemens, une puissance continuait d’émerger, qui seule à peu près se pouvait désormais flatter d’avoir son point d’attache en haut, et que les peuples ne pouvaient ni créer ni défaire. La chute des autres trônes rehaussait ce trône spirituel, bien loin de l’ébranler ; on sentait là une force qui défiait et dépassait les