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bien que mal ses résipiscences de prophète, il recommençait de faire crédit à l’Eglise, cette faillie, et lui rouvrait l’horizon du siècle futur. Le siècle a trois ans d’âge, aujourd’hui ; et le bruissement de la presse en ces dernières semaines a justifié les augures d’Emile de Laveleye. L’histoire entière du pontificat de Léon XIII est l’histoire d’un revirement partiel de l’opinion à l’endroit de l’Eglise ; et, si l’on en voulait chercher ici les causes, ce serait se fourvoyer que de supposer que l’Eglise, pour ramener vers elle un monde transfuge, ait depuis vingt-cinq ans consenti quelque sacrifice, soit sur son dogme, soit sur sa discipline.

Léon XIII, en effet, n’a fait aucune concession sur le dogme. Il l’a maintenu rigide en ses arêtes, inflexible en sa charpente ; il en a voulu consolider les fondations avec les moellons du thomisme ; il en a voulu défendre les approches en constituant la commission des études bibliques. Il a même été, dans ses lettres annuelles sur le Rosaire de Marie, un maître de dévotion ; et l’heure est proche, peut-être, où certains apôtres du féminisme sauront gré aux deux derniers pontificats d’avoir proclamé avec tant d’éclat l’éminente dignité d’une femme dans le plan divin et d’avoir, si l’on peut ainsi dire, achevé la rédemption d’Eve, la compromettante pécheresse, en donnant un somptueux piédestal à la grandeur de Marie, l’« Immaculée. » Bien loin que Léon XIII s’essayât, comme d’aucuns l’eussent voulu, à moderniser le dogme, sa lettre sur l’Eglise, qui groupe en une mosaïque les innombrables témoignages traditionnels, met plutôt en relief l’antiquité du dogme, comme un honneur et comme une parure. Léon XIII a pris place dans la série des papes comme un dépositaire et comme un continuateur, non comme un novateur. Et c’est parce qu’il fut un dépositaire d’élite, c’est parce qu’il prit une connaissance exacte et profonde du dépôt, c’est parce qu’il exhuma du vieux trésor des richesses oubliées ou imprévues, c’est parce qu’il explora, jusqu’en ses intimes catacombes, l’architecture de la foi séculaire, qu’il eut l’air, aux yeux des profanes, de « faire du nouveau. » Il montrait en réalité, comme l’écrivait dès 1892 M. Charles Benoist, « ce que peuvent produire, en se rencontrant à l’heure propice, un pape de son temps et une institution de tous les temps[1]. »

  1. Charles Benoist, Souverains, hommes d’État, hommes d’Église, p. 120 ; Lecène, 1893.