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son pontificat, parut les justifier en adressant à une autre république, celle des Etats-Unis, des témoignages répétés, d’admiration pour « l’intelligence supérieure, l’énergie active, l’esprit d’entreprise et de progrès » qui distinguent la démocratie américaine. Il sembla même qu’en installant là-bas, sur cette terre où le contact est immédiat entre l’Église et Rome, un délégué apostolique permanent, Léon XIII voulait faire faire à la papauté l’apprentissage d’une action nouvelle, et qu’ayant appris dans le vieux monde, par une antique expérience, comment il fallait traiter avec les rois ou les oligarchies gouvernementales, la papauté s’en allait faire école, dans le Nouveau Monde, pour prendre audience de la démocratie. Une coïncidence éloquente voulait précisément qu’en 1893, cent ans juste après la sanglante atteinte portée par la guillotine au principe monarchique, la tribune des souverains fût vide, à Saint-Pierre, pour les fêtes jubilaires du Pape : les foules chrétiennes, accourues de tous pays, étaient en tête à tête direct avec leur chef spirituel ; les hommes étaient là, les pasteurs d’hommes manquaient ; et l’absence des anciennes Majestés, en ces cérémonies où l’on sentait circuler un grand souffle de vie, avait je ne sais quoi de symbolique. Etait-ce aussi l’annonce d’un futur transfert de souveraineté, que l’ouverture, pour les pèlerinages ouvriers, d’une porte de Saint-Pierre traditionnellement réservée aux souverains ?

Les démocraties du XIXe siècle, en leurs premiers soubresauts, eurent l’illusion que ce qu’elles croyaient, elles, ou plutôt ce que la majorité croyait, était la vérité, la vérité d’Etat, et que ce qu’elles voulaient, elles, ou plutôt ce que la majorité voulait, était la justice, la justice infaillible. Cette illusion compromit irrémédiablement certains apôtres du droit populaire ; et, comme les papes du moyen âge avaient condamné la souveraineté absolue des rois, Pie IX se vit forcé de condamner la souveraineté absolue des peuples. Mais, comme les papes du moyen âge avaient acclamé, sous le drapeau guelfe, l’autonomie des villes lombardes, Léon XIII acceptait et aimait la démocratie, en tant qu’elle était l’autonomie des peuples sous la sujétion de la morale supérieure. La doctrine de la souveraineté absolue des peuples est si peu inhérente, d’ailleurs, à l’essence de l’Etat démocratique, que la démocratie des Etats-Unis s’est spontanément subordonnée à une Cour suprême chargée de déclarer souverainement que la volonté des représentai, c’est-à-dire la volonté de