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LE PAPE LÉON XIII

Après seize jours d’assaut, la mort a vaincu le pape Léon XIII. Il y eut, seize jours durant, sous cette écorce de nonagénaire, presque immatérielle à force d’être frêle, une sorte d’hésitation de la sève vitale, des alternatives de reflux et de flux : Léon XIII montrait, tout ensemble, assez d’énergie morale pour faire l’abandon d’une vie que sollicitaient encore de vastes pensées, assez d’énergie physique pour la retenir quand même, jusqu’à ce qu’une volonté supérieure ratifiât l’abandon.

Souvent, à notre époque affairée, les maladies des chefs d’Etat intéressent la Bourse plutôt qu’elles ne préoccupent les âmes ; les bulletins médicaux qui chiffrent plusieurs fois le jour les pulsations des souverains malades ont surtout une répercussion sur les cotes ; et c’est aux oscillations de la finance, thermomètre de l’opinion, que l’indifférence publique mesure l’altitude des puissans qui luttent avec la mort. Léon XIII, lui, a laissé la Bourse insensible ; le « serviteur des serviteurs de Dieu » s’est éteint sans troubler Mammon. Mais, seize jours durant, dans l’Église et hors de l’Église, dans la chrétienté et hors de la chrétienté, l’auguste coucher de soleil qui s’attardait sur la colline Vaticane a tenu les regards en suspens ; seize jours durant, les hommes se sont mis debout pour observer là-bas, entre ciel et terre, le fantôme blanc qui voulait mourir debout. Le même coup de destinée qui décapitait le corps de l’Église faisait tressaillir d’une inquiétude respectueuse, bien au-delà des frontières de la catholicité, cette masse diffuse de consciences