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aurait tort de croire que la situation en soit plus simple pour le souverain.

La cause ou le prétexte de la crise hongroise a été l’attitude obstructionniste prise par le parti de l’indépendance dans la question de l’augmentation de l’effectif militaire. Il y a des pays, on le sait, où l’obstruction est entrée dans les mœurs parlementaires. Notre parlement a bien des défauts, mais il n’a pas encore celui-là : puisse-t-il en être toujours préservé ! L’obstruction est la négation même du gouvernement parlementaire. Le parti de l’indépendance en Hongrie a, peut-être faut-il dire « avait » pour chef M. François Kossuth, le fils du célèbre agitateur de 1848. C’est lui qui a vaincu M. De Szell, ou du moins qui l’a forcé à la retraite, et qui a assuré par-là un grand succès à son parti : celui-ci n’a pourtant pas tardé à le trouver insuffisant. L’empereur, ou plutôt le roi puisqu’il s’agit de la Hongrie, a accepté la démission de M. De Szell et de ses collègues, et il a chargé d’abord M. Étienne Tisza de former un nouveau cabinet. M. Etienne Tisza est le fils, lui aussi, d’un père illustre qui a gouverné longtemps la Hongrie. Il occupe personnellement une place importante dans le parlement, où il représente le parti de la résistance : il est partisan de ce qu’on appelle en France la manière forte. À l’entendre, tout le mal de la situation vient de ce que M. De Szell a fait trop de concessions au parti de l’indépendance, et, d’une manière plus générale, à tous les partis d’opposition. Les concessions conduisent à la faiblesse ; les prétentions de l’adversaire vont toujours en augmentant à mesure qu’on y satisfait, et on aboutit enfin à la nécessité de se soumettre ou de se démettre, M. De Szell s’y est trouvé finalement acculé. Cette théorie peut se soutenir ; il s’agit seulement de savoir si, dans la pratique, elle soutient toujours celui qui la professe. Tel n’a pas été le cas pour M. Tisza. Il s’est adressé aux membres les plus en vue du parlement ; il a fait appel à leur concours ; il a rencontré partout des refus. Évidemment, il n’inspirait pas confiance, et il n’a trouvé personne qui voulût courir avec lui les risques d’une aventure. Alors il a déclaré au souverain qu’il n’avait pas réussi dans sa mission, et en a été relevé.

Qu’allait faire François-Joseph ? La situation était sérieuse ; elle commençait même à devenir quelque chose de plus ; il fallait la dénouer le plus tôt possible. Le roi a fait appel à un homme qui ne paraissait pas désigné pour remplir le rôle qu’il lui confiait, mais qui avait pourtant l’avantage, ne faisant pas partie du parlement, de n’avoir pas d’avance contre lui l’hostilité de tel ou tel groupe :